X

Miscellanea Macionica : Qui se souvient du Docteur Gerbier, maçon, mais escroc ?

Miscellanea Macionica :  Qui se souvient du Docteur Gerbier, maçon, mais escroc ?

Voici la question 113 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA »  (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.

Miscellanea Macionica :  Qui se souvient du Docteur Gerbier, maçon, mais escroc ?

Les francs-maçons affichent volontiers leur volonté de « tailler » leur pierre brute pour devenir des hommes meilleurs, et œuvrer à l’amélioration de l’humanité. Ce qui n’empêche pas certains d’entre eux de se révéler, à la longue, opportunistes et dévoyés ; prouvant à leur corps défen­dant que le tablier maçonnique peut parfois n’être qu’une simple garniture vestimentaire.

Souvenons-nous de « Monsieur », alias Louis Philippe d’Orléans qui, devenu « Philippe Égalité » à la Révolution, se débarrassa lâchement d’une charge de Grand Maître, dont il avait pourtant aimé se parer pendant près de vingt ans…

Et surtout, n’oublions pas ce bon Docteur Hubert Gerbier de Werchamp (1727-1795), son médecin personnel, qui mérita par un authentique… faux en écriture, sa place au cénacle des imposteurs.

On ne sait rien de la vie du docteur Gerbier, sinon qu’il fut membre des Loges La Noble et Parfaite Unité, Saint-François des Amis Réunis et Guillaume Tell ; qu’il dirigea en Vénérable Maître la Loge Le Centre des Amis ; qu’il fut grand officier du Grand Orient de France ; et, surtout, qu’il eut grand plaisir à se présenter comme « Grand Maître perpétuel » d’une juridiction de hauts-grades.

Remontons le cours de l’Histoire maçonnique. En mars 1785, le docteur Gerbier s’invite à une assemblée du Grand Chapitre Général de France, formé d’anciens membres du Conseil des Empereurs d’Orient et d’Oc­ci­dent, et soutient que cette juridiction est moins ancienne que le Grand Chapitre de Rose-Croix qu’il préside.

Il présente alors à ses interlocuteurs une charte de constitution, rédigée en langue latine, d’un Chapitre établi, en 1721 à Édimbourg ; et obtient, sans la moindre contestation, un concordat unissant les deux chapitres en un seul corps. Lu dans le texte :

De l’orient du monde et de la Grande Loge d’Édimbourg, où règnent la foi, l’espérance et la charité, dans la paix, l’unanimité et l’égalité, le 21e jour du 1er mois d’Hiram 5721, […] Nous, soussignés, disciples du Sauveur, […] savoir faisons que nous avons créé en faveur des Français un Grand Chapitre de la Rose-Croix, […] au nom et sous la pleine puissance et autorité de notre frère duc d’Antin, pair de France, d’une réputation digne de ce rang…

Il est inutile d’aller plus loin dans la lecture du document : en 1721,  Louis de Pardaillan de Gondrin, duc d’Antin, n’avait que quinze ans, et ne pouvait donc être Grand Maître. Qu’à cela ne tienne puisque les qualités maçonniques du docteur Gerbier sont reconnues et que celui-ci peut, quelques mois plus tard, participer à la réunion des deux chapitres précédemment cités sous les auspices du Grand Orient – pour former un Souverain Chapitre Métropolitain chargé d’administrer les hauts-grades.

Tout serait pour le mieux de la Franc-Maçonnerie en général et du docteur Gerbier en particulier si n’arrivaient bientôt au Grand Netori (Grand Orient) deux courriers émanant, l’un de la « Grande Loge et Grand Chapitre de l’Ordre de Heredom de Kilwinning », à l’orient de Rouen, faisant état de l’attribution en 1766 de constitutions de la Grande Loge Royale de l’Ordre d’Heredom de Kilwinning, l’autre de la Grande Loge Royale elle-même, rejetant l’authenticité de toute patente prétendument délivrée en 1721.

« Cette prétendue patente, écrivent ses dignitaires au Grand Orient de France, nous paraît être une usurpation de notre nom et de notre autorité, pour laquelle il n’y a aucun titre valable. »

L’histoire ne dit pas ce que les dirigeants du Grand Orient de France ont pensé des prétentions, mal établies, du docteur Gerbier ; ni quelle attitude a adopté celui-ci à l’égard du Grand Orient. Comme on ignore si en cette année 1786, un ou plusieurs maçons français ont alors eu connaissance des « Grandes Constitutions », prétendument paraphées par Frédéric, roi de Prusse, « Souverain Grand Protecteur, Grand Com­mandeur, Grand Maî­­tre Universel et Conservateur de la très Ancienne et très Res­pec­table Société des Anciens Francs Maçons ou Architectes Unis ».

Quoi qu’il en soit, 1786 est l’année où le Grand Orient de France a décidé la pratique de quatre « Ordres de Sagesse » dans les ateliers supérieurs de l’obédience. Du docteur Gerbier, Jean-Marie Ragon dira plus tard qu’il s’est agi d’un « authentique maçon et authentique escroc ».

Nota – Certains adeptes du Rite Écossais Primitif ont fait tout aussi fort que le docteur Gerbier pour prouver l’ancienneté de leur rite : avec son introduction à Saint-Germain-en-Laye dès l’année 1651, et la délivrance d’une Constitution dite de Payne en 1720. Malheureusement les preuves manquent à l’appui des affirmations.

• Voir : Précis historique de l’Ordre de la Franc-Maçonnerie (Jean-Claude Besuchet, 1829). Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie (François Timoléon Bègue-Clavel, 1843). Les Annales de la Franc-Maçonnerie (Guy Chassagnard, Éditions Alphée, 2009).

© Guy Chassagnard – 2016



Guy Chassagnard:

View Comments (1)

  • Que la charte de 1721 soit un faux établi pour les besoins de la cause, personne ne le conteste. Il y avait même sur ce document une tache de vin provenant de la table de l'auberge où il avait été établi.
    Mais pour comprendre pourquoi le GODF a accordé crédit à cette charte, il faut se placer dans les conditions de l'époque.
    Il faut d’abord noter que le GODF est la résultante de plus de 30 années de dérives et de turbulences dans la Maçonnerie française.
    En 1744, après la mort prématurée du Duc d’Antin, (peut-être la raison de l'allusion au duc dans le document Gerber), le Comte de Clermont, prince du sang, est installé comme grand Maître inamovible de la Grande-Loge anglaise de France, titre qu’elle gardera jusqu’en 1756, date à laquelle elle se proclamera indépendante.
    Mais le Comte de Clermont néglige ses devoirs à l’égard de la Grande-Loge. Son substitut, M. Baure, ne fait pas mieux et laisse la bride sur le cou aux loges du royaume. Il en résulte un grand désordre qui va durer plusieurs années.

    Comme dit Claude Antoine Thory :

    "Le prétendant Charles-Edouard Stuart, cousin de la famille royale française, qui cherche toujours à retrouver son trône anglais, délivre le 15 avril 1747 aux maçons d’Arras une patente de constitution de chapitre sous le titre distinctif d’ « Ecosse jacobite »).
    En 1751, est fondé sous le titre de St-Jean d’Ecosse, une loge qui se donna de sa propre autorité le titre de Mère Loge, c’est-à-dire le droit de fonder d’autres Loges, prérogatives qui n’appartient qu’à la Grande Loge.
    La Grande Loge donne (ou monnaye, comme la Paulette) des titres personnels à des maîtres inamovibles, qui considèrent leur loge comme une propriété et qui délivrent des constitutions, sans doute contre rétribution, à d’autre Loges, Chapitres, Collèges, Conseils et Tribunaux."

    La situation se dégrade quand en 1762, le Comte de Clermont choisit de se faire représenter par M. Lacorne, maître à danser. Mais celui, de trop « basse extraction » est rejeté par La Grande Loge. Lacorne réagit et constitue une seconde Grande Loge avec ses partisans. Chaque faction regroupe des loges qui lui sont fidèles.
    Le Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident profite de la confusion pour se constituer en puissance symbolique et délivrer patentes et constitutions.
    Le Comte de Clermont est obligé d’intervenir et rapproche les 2 parties, après avoir révoqué Lacorne. Les 2 grandes loges se réconcilient mais cette entente ne dure pas. En 1765, les anciens « lacorniens », par un coup monté, sont écartés des postes d’officiers de la GL et se retirent de la GL en protestant par libelles contre le procédé. L’année d’après ils sont bannis de l’ordre par décret mais en 1767, à la fête de l’Ordre le 24 juin, les frères bannis font un tel « grabuge » que les travaux de la GL furent suspendus par l’autorité royale.
    Pendant cette suspension, les « lacorniens » s’activent et clandestinement continuent leurs travaux faubourg St-Antoine. En 1770, Les tentatives de reprendre les travaux de la GL pour contrer ces Frères dissidents échouent devant le refus de la majorité des Loges.
    En 1771, le décès du Comte de Clermont laisse le siège de la GM inoccupée. Les « lacorniens » obtiennent l’accord du duc de Chartres ( le futur Philippe Egalité) à sa nomination comme GM avec le duc de Luxembourg comme substitut. A l’assemblée de la GL de nouveau autorisée ils se présentent avec l’acceptation du duc de Chartres qu’ils échangent contre leur réintégration et l’annulation des mesures prises contre eux en leur absence.

    Mais devant la situation de la grande Loge, ils demandent la création d’une commission de 8 commissaires chargée de faire un rapport pour remédier aux maux qui l’affligent. En attendant, et devant la quantité invraisemblable de patentes et de constitutions délivrées, ils demandent à toutes les loges du royaume de faire renouveler leurs constitutions qui seront examinées au secrétariat de la Grande Loge.
    Fin 1772, la commission, avec le concours du Duc de Luxembourg, prend le partie des frères dissidents et convoquent des assemblées à l’hôtel de Chaulnes. Le 24 décembre, ils déclarent que l’ancienne Grande Loge de France est remplacée par une nouvelle Grande Loge nationale qui fait partie intégrante d’un nouveau corps, le Grand Orient de France.
    Le 5 mars 1773, la première assemblée du GODF se tient, confirme la nomination du duc de Chartres comme GM et du duc de Luxembourg comme administrateur général. L’ancien substitut du comte de Clermont, M. Chaillou de Joinville, se rallie à la nouvelle structure.
    Le 14 juin toutes les constitutions personnelles délivrées à des maîtres de Loge inamovibles sont supprimées et les nouvelles structures du GODF sont mises en place. Cependant l’ancienne Grande Loge refuse toujours de reconnaître le GO et prend le contre-pied de ses arrêts.

    C’est dans ce contexte troublé et tendu que seront écrits les rituels de 1786. Le GODF a besoin d’asseoir son autorité et en même temps de trouver des compromis qui lui rallie un maximum de composantes du "PMF" (Paysage maçonnique français). Il a passé des accords avec les Directoires écossais provinciaux du rite de la SOT qui sont intégrés au GODF ainsi qu’avec la mère-loge du rite écossais philosophique sous réserve qu’elle ne se targe plus de ce titre en dehors de sa juridiction.
    Sur la forme, le titre « français » de ce rituel rappelle donc que le GODF se considère comme la seule autorité maçonnique en France.
    Mais, sur le fond, il est bien obligé de tenir compte de la situation des hauts grades en France qui ont rencontré, depuis le discours de Ramsay un succès grandissant.

    La Grande Loge anglaise des « Modernes » refusait l’existence de « hauts grades » qui rompaient l’égalité dans les Loges bleues au-delà du grade de maître. Pour elle, l’initiation à la philosophie expérimentale et à la religion naturelle de Desaguliers et de Newton ne nécessitait pas un empilement de grades chevaleresques. C’était la noblesse qui venait en loge se former à la philosophie des Lumières et non l’inverse.
    Ils refusèrent toute tentative de « chapeauter » les grades « bleus » avec des hauts grades. Avec la création de la Loge des Anciens Acceptés en 1751, l’instauration du grade de Royal Arch fut une pomme de discorde supplémentaire entre Anciens et Modernes.

    En France, par contre beaucoup plus proche de l’Ancien régime, ces hauts grades de chevalerie templière firent florès.

    En 1758, on assiste à la fondation à Paris du "Chapitre des Empereurs d’Orient et d’Occident" dont les membres s’intitulaient souverains Princes maçons, substituts généraux de l’Art Royal, Grands Surveillants et Officiers de la grande et souveraine Loge de St-Jean de Jérusalem. Ils fondèrent l’année suivante à Bordeaux le conseil des Princes de Royal-secret.

    En 1761 Le Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident crée des chapitres dans toutes la France en concurrence avec les grandes Loges (celle de Clermont et celle de Lacorne).
    En 1762, le Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident arrêtent les règlements de la Maçonnerie de Perfection avec une liste de ses 25 grades.

    L’ancienne Grande Loge s’était déjà élevé contre la déferlante des hautes grades en supprimant par un décret du 14 août 1766 les constitutions des chapitres des hauts grades et en interdisant aux loges de les reconnaître. Mais en vain : Le décret sera rapporté quelques mois plus tard et un Frère proposa même de les intégrer dans la Grande Loge, ce qui sera néanmoins refusé.
    Le Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident qui avait continué ses travaux à Paris prend dans une circulaire du 22 janvier 1780 le titre de Sublime Mère Loge écossaise du Grand Globe français Souveraine Grande Loge de France. Il devient un des principaux adversaires du GO dont il conteste l’autorité alors que sa thématique templière dont il a fait un système cohérent connait un succès grandissant. C’est lui qui donne à Stéphane Morin une patente de député grand Inspecteur pour propager la Maçonnerie de perfection Outre-mer, d’où sera tiré le REAA.
    Le GO sera donc obligé de composer pour réunir ce qui est épars et éviter la dispersion anarchique des structures chapitrales. D'où le tour de passe-passe du Dr Gerbier et son acceptation par le GODF.