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Miscellanea Macionica :  Qui était le frère Étienne Morin, cet illustre inconnu ?

Voici la question 55 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA »  (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.

Miscellanea Macionica :  Qui était le frère Étienne Morin, cet illustre inconnu ?

On peut évidemment se poser la question, l’espace d’un court instant, mais la réponse vient à l’esprit irrémédiablement : si Étienne Morin n’a pas créé les grades écossais il a su les ordonner et, de ses activités multiples, est né l’Écossisme des hauts grades. Longtemps, on s’est demandé qui était cet homme. D’éminents maçonnologues et historiens maçonni­ques l’ont fait naître en maints endroits du monde. On l’a doté de parents huguenots, vu créo­le de sang mêlé, de souche africaine ou français expatrié, rendu natif d’Haïti, ou de la Martinique. On l’a professionnalisé dans les affaires, marchand de porcelaine, négociant de verrerie, et amateurisé violoncelliste. On l’a même enfermé à la Bastille.

Ceci jusqu’au jour où sa signature a été relevée sur un registre du port de Bordeaux signalant le départ, le 27 mars 1762, pour Saint-Domingue, d’un certain « Étienne Morin, âgé de quarante-cinq ans, de taille moy­enne, cheveux noirs, portant perruque, natif de Cahors en Quercy ». Il est vrai, il y a lieu de le reconnaître, que c’est là tout ce que l’on connaît de cet homme et de sa vie profane… Néanmoins, son activité maçonnique est mieux connue, à grâce à un abondant courrier laissé après sa mort. Et s’il y a lieu de rendre à César ce qui appartient à César, on se doit d’admettre que sans lui, il n’y aurait pas aujourd’hui de rite écossais, ancien et accepté.

C’est à Bordeaux que se manifeste pour la première fois Étienne Morin, en 1744, en sa qualité de maçon, titulaire, déjà, de hauts grades écossais. Il y fonde une Loge des Élus Parfaits de Saint-Jean d’É­cosse – les preuves existent. Cette loge essaimera à Tou­louse, à Montpellier, Marseille, Avignon, ainsi que sur les îles de Saint-Do­mingue et de Martinique. De la Martinique vien­dra la création d’une Loge écossaise à la Nouvelle Or­léans (1756) ; de Saint-Domingue sera issue la Loge écossaise d’Albany (1767), dans la colonie britannique d’Amé­rique du nordo; de Saint-Domingue via la Jamaï­que l’Écossisme s’implantera à Charleston, en Caro­line du Sud, où il se fera bientôt an­cien et accepté ; de Charleston, enfin, reviendra en 1804 un certain comte Auguste de Grasse-Tilly, détenteur d’une bonne trentaine de degrés écossais.

– En 1744 donc, Étienne Morin se trouve à Bor­deaux, pour affaire sans doute, pour maçonner aussi.

– En 1746 et 1748, Étienne Morin est toujours à Bordeaux ; il y visite la loge L’Anglaise, fondée en 1732. Mais fin 1748, il appose sa signature au bas d’une lettre des Élus Parfaits du Cap-Français de Saint-Domingue dont il est le grand orateur.

– En 1750, écrivant de Paris, le frère Petit de Bou­lard annonce la visite à Bordeaux du frère Morin en vue d’y établir un Conseil de Chevaliers d’Orient.

– En 1752, des frères du Cap-Français de Saint-Domingue se plaignent du frère Morin, fondateur d’une loge de La Parfaite Harmonie.

– En 1757, celui-ci écrit des Cayes, Fond-de-l’Ile-à-Vaches, à ses frères bordelais, pour leur rendre compte de ses activités maçonniques. Il vient de jeter les fondations d’une Loge écossaise.

– En mars 1762, Étienne Morin s’embarque encore à Bor­deaux pour l’île de Saint-Domingue où il n’arrivera que l’année suivante son bateau ayant été arraisonné par des marins anglais et lui-même ayant été obligé de sé­journer, malgré lui, en Angleterre et en Écosse.

Notre frère a reçu le 27 août précédent, une patente émise par la « Grande Loge et [le] Souverain Grand Con­seil des Sublimes Princes de la Maçonnerie au Grand Orient de France », ceci en sa qualité de : Grand Élu Par­fait, an­cien Maître Sublime, Parfait Maître, Che­va­lier et Prin­ce Sublime de tous les Or­dres de la Ma­çon­nerie de la Per­fec­tion, membre de la Loge Roya­le de la Trinité, etc. Selon les termes mêmes de ladite patente, le frère Morin, qualifié de Grand Maître Inspecteur, est mandaté de tous les pouvoirs « d’établir dans toutes les parties du monde la Parfaite et Sublime Maçonnerie ».

« Nous lui donnons plein et entier pou­voir, est-il écrit dans le texte, de multiplier, et de créer des Ins­pec­teurs en tous lieux où les sublimes grades ne sont pas établis, connaissant par­fai­tement ses grades, connaissances et ca­pacité ».

– En 1764, le frère Étienne Morin, « négociant au Port-au-Princeo», rend compte encore de ses activités maçonniques au sein de trois loges différentes de la colonie : La Con­corde de Saint-Marc, la Concorde de Cayes et La Par­faite Union de Port-au-Prince.

– En 1765, dans une lettre adressée à la Grande Loge de France, le frère Étienne Morin fait référence aux pouvoirs qu’il a reçus quatre ans plus tôt pour justifier ses visites et inspections et évoque la création d’une loge de La Parfaite Harmonie.

– Fin 1765, début 1766, Étienne Morin réalise ses biens et quitte définitivement Saint-Domingue.

C’est un homme las des intrigues qui, après avoir rencontré Henry Andrew Francken, un exilé hollandais, qu’il fait Deputy General Inspector, s’établit à King­ston de la Jamaïque. Il y met une dernière main à un projet d’Ordre des Sublimes Princes du Royal Secret qu’il dote lui-même, cela ne fait aucun doute, des fameuses mais apocryphes Cons­titutions de 1762, tandis que son ami et disciple se fait rédacteur de rituels. Le frère Étienne Morin s’éteint en novembre 1771, à Kingston, et est enterré sans cérémonie dans le cimetière jouxtant l’église paroissiale. Le procès verbal de sa succession ne fait état que de quelques «orubans de parure » (dé­cors maçonniques ?) et d’un violoncelle…

A noter qu’à son départ de France, en 1762, la Maçonnerie dite de Perfection – La Perfection étant le grade suprême – comptait onze degrés supérieurs, et qu’à sa mort, l’Ordre des Sublimes Princes du Royal Secret en comprenait vingt-deux. Soit au total quatorze et vingt-cinq avec les grades symboliques.

• Voir : Aux Sources du Rite écossais ancien et accepté (Guy Chassagnard, Éditions Alphée – J.P. Bertrand, 2008). Voir aussi les documents de la Fondation Latomia.

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