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Miscellanea Macionica : Quel secret Noé a-t-il emporté dans la tombe ?

Voici la question 35 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA »  (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.

Miscellanea Macionica : Quel secret Noé a-t-il emporté dans la tombe ?

Pour rencontrer Noé, il faut feuilleter les premières pages de la Genèse, premier livre du Volume de la Loi sacrée. On y apprend en son sixième chapitre que l’Éternel, ayant constaté la « méchanceté » des hommes, décida de les exterminer de la surface de la terre (6. 7). Seul Noé, un homme « juste et intègre », trouva grâce à ses yeux. Il reçut donc l’ordre de construire une arche de bois et d’y abriter sa femme, ses fils ainsi que deux specimen de chaque espèce animale. Un déluge venu des abîmes et des cieux ravagea alors la terre pendant quarante jours (8. 6). De Noé, de sa femme, de ses fils et de leurs épouses, seuls humains survivants du déluge, sont issus tous les peuples du monde (9. 19).

Bien qu’ayant vécu, selon la Genèse, quelque 950 années, Noé n’a guère inspiré les auteurs du Volume de la Loi sacrée, ni les tailleurs de pierre et autres maçons de pose si friands, dans leurs écrits, de récits bibliques. Certes, Noé et son « Déluge » sont souvent cités dans les Anciens Devoirs, mais sans susciter le moindre commentaire ; on leur préfère, sans aucun doute, Nimrod, roi de Babylone et premier grand maître de la Maçonnerie (Ms William Watson, 1535) ; ou Hermarines (Hermès), à qui on doit d’avoir retrouvé l’une des colonnes de la connaissance (Ms Grand Lodge, 1583). Il faudra attendre l’année 1726 et la rédaction du Manuscrit Graham pour ren­­contrer à nouveau Noé, dans une nouvelle aventure – mortelle. Qu’on en juge :

Selon la tradition et les Écritures, Sem Cham et Japhet eurent à se rendre sur la tombe de leur père Noé pour tenter d’y découvrir quelque chose à son sujet, qui les guiderait jusqu’au puissant secret que détenait ce fameux prédicateur. Ici, j’espère que chacun admettra que toutes les choses nécessaires au nouveau monde se trouvaient dans l’arche avec Noé.

Ces trois hommes avaient déjà con­venu que s’ils ne trouvaient pas le véritable secret lui-même, la première chose qu’ils découvriraient leur tiendrait lieu de secret. Ils n’avaient pas de doute, mais croyaient très fermement que Dieu pouvait et aussi voudrait révéler sa volonté, par la grâce de leur foi, de leur prière et de leur soumission ; de sorte que ce qu’ils découvriraient se montrerait aussi efficace pour eux que s’il avaient reçu le secret, dès le commencement, de Dieu en personne.

Ils arrivèrent donc à la tombe et ne trouvèrent rien, si ce n’est un cadavre déjà presque entièrement corrompu. Ils saisirent un doigt qui se détacha et ainsi de suite de jointure en jointure jus­qu’au poignet et au coude. Alors, ils redressèrent le corps et le soutinrent en se plaçant avec lui pied contre pied, genou contre genou, poitrine contre poitrine, joue contre joue et main dans le dos, et s’écrièrent :

« Aide-nous, Ô Père ! ». Comme s’ils avaient dit : « Ô Père du ciel aide-nous à présent, car notre père terrestre ne le peut pas. »

Ils reposèrent ensuite le cadavre, ne sachant que faire. L’un d’eux dit alors : « Il y a encore de la moelle dans cet os. »

Et le second dit : « Mais c’est un os sec. »

Et le troisième dit : « Il pue. »

Ils s’accordèrent alors pour donner à cela un nom, qui est encore connu, de nos jours, de la Maçonnerie libre. Puis ils allèrent à leurs affaires et par la suite leurs ouvrages se révélèrent durables. Ce­pen­­dant, il faut supposer et aussi comprendre que la vertu ne provenait pas de ce qu’ils avaient trouvé ou du nom qui lui avait été donné, mais de la foi et de la prière. Ainsi allèrent les choses, la volonté soutenant l’action.

Le lecteur aura remarqué que le relèvement du corps de Noé, ainsi raconté en 1726, est similaire en plus d’un point à celui d’un autre personnage issu du Volume de la Loi sacrée, savoir Maître Hiram, le fondeur et architecte – dont la mort et le relèvement (!) ont été contés pour la première fois, à notre connaissance, dans la Maçonnerie disséquée (Dissected Masonry) de Samuel Prichard, publié quatre ans plus tard. Comme suit :

Question. – Comment [Hiram] trouva-il la mort ?

Réponse. – Il était Maître Maçon lors de la construction du Temple de Salomon, et à midi plein, quand les ouvriers étaient partis se restaurer, comme il était de coutume, il s’en vint inspecter les travaux ; quand il fut entré dans le Temple, il y trouva trois scélérats, supposés être trois Compagnons du Métier, qui s’étaient embusqués aux trois entrées du Temple ; et quand il arriva, le premier lui demanda le Mot de Maître, il lui répondit qu’il ne l’avait pas reçu de cette manière, mais qu’un peu de temps et de patience lui ferait l’obtenir ; insatisfait de cette réponse, il [le Compagnon] lui donna un coup qui le fit vaciller ; il [Hiram] alla à une autre porte, où il fut interpellé de la même manière, et il fit la même réponse, recevant un plus grand coup ; au troisième [coup] il perdit la vie.

Q. – Avec quoi les scélérats le tuèrent-ils ?

R. – Un maillet, un ciseau et un levier.

Q. – Que firent-ils de son corps ?

R. – Ils le transportèrent à la porte de l’ouest du Temple, et le dissimulèrent sous des gravats jusqu’à minuit.

Q. – Quelle heure était-il exactement ?

R. – Minuit plein, alors que les ouvriers étaient au repos.

Q. – Que firent-ils ensuite du corps ?

R. – Ils le portèrent jusqu’au sommet d’une colline, où ils creusèrent une tombe décente dans laquelle ils l’enterrèrent.

Q. – Quand s’aperçut-on de son absence ?

R. – Le jour même.

Q. – Quand fut-il retrouvé ?

R. – Quinze jours plus tard.

Q. – Qui le trouva ?

R. – Quinze Frères attentionnés, sur ordre du roi Salomon, sortirent du Temple par la porte de l’ouest, et se séparèrent en deux grou­pes, l’un allant vers la droite, l’autre vers la gauche, à portée de voix ; et ils se mirent d’accord que s’ils ne retrouvaient le Mot sur lui ou près de lui, le premier mot [prononcé] serait le Mot de Maître.

Un des Frères, plus fatigué que les autres, s’assit pour se reposer, et se saisit d’une brindille qui s’arracha aisémento; observant que la terre avait été retournée, il appela ses Frères qui poursuivant leurs recherches découvrirent son corps, enterré décemment dans une tombe de six pieds d’est en ouest et de six pieds de profondeuro; son linceul était fait de mousse verte et d’herbe, ce qui ne manqua pas de les étonner.

Ils s’écrièrent alorso: « Muscus Domus Dei Gratia », ce qui en Maçonnerie veut dire : « Grâce à Dieu, notre Maître a une demeure de mousse » ; alors ils recouvrirent minutieusement le corps, placèrent un rameau d’acacia comme repère à la tête de la tombe et allèrent informer le roi Salomon [de leur découverte].

Q. – Que dit alors le roi Salomon ?

R. – Il ordonna qu’on récupérât le corps et qu’on l’enterrât décemment, et que quinze Compagnons, portant gants et tabliers blancs, assistassent aux funérailles (une pratique qui a perduré chez les Maçons jus­qu’à nos jours).

Q. – Comment Hiram fut-il relevé ?

R. – Comme tous les autres Maçons, quand ils reçoivent le Mot de Maître.

Q. – C’est à dire ?

R. – Par les cinq points du Compagnonnage.

Q. – Quels sont-ils ?

R. – Main dans la main, pied contre pied, joue contre joue, genou contre genou, et main dans le dos.

N.B. – Quand Hiram fut relevé, ils le prirent par l’index et la peau se sépara, c’est ce qu’on appelle l’arrachement ; pren­dre la main droite et placer le médius au poignet, placer l’index et l’annulaire sur les côtés du poignet, c’est ce qu’on appelle la griffe ; et le signe consiste à placer le pouce de la main droite sur le sein gauche, en étendant les doigts.

– Pour plus d’information : La Sainte Bible (Louis Segond, 1910). La Maçonnerie disséquée (Smauel Prichard, 1730). Les Anciens Devoirs (Guy Chassagnard, Éditions Pascal Galodé, 2014).

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