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Miscellanea Macionica : Qu appelle-t-on « Acte d’union et Concordat » (1804) ?

Miscellanea Macionica : Qu’appelle-t-on « Acte d’union et Concordat » (1804) ?

Voici la question 101 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA »  (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.

Miscellanea Macionica : Qu’appelle-t-on « Acte d’union et Concordat » (1804) ?

Commençons par établir une chronologie des faits qui se sont déroulés, en matière de Franc-Maçonnerie, dans la seconde moitié de l’année 1804o; en oubliant le massacre des colons en Haïti (février), le décès d’Emmanuel Kant (avril) et le sacre de Napoléon Ier (mai), ayant précédemment eu lieu précédemment.

4 juillet. – Retour en France du comte Auguste de Grasse-Tilly, parti en 1789 gérer ses biens de l’île de Saint-Domingue, et fait en 1802 Souverain Grand Commandeur d’un hypothétique Suprême Conseil des Indes occidentales françaises. En France, quelque 300 loges maçonniques sont alors en activité, pour la plupart soumises aux règles par trop rigides du Grand Orient de France – il en existait plus de 700 avant la Révolution.

22Août. – Auguste de Grasse-Tilly rejoint la Loge « écossaise » Saint-Alexan­dre d’Écosse, en cours de reconstitution, que le Grand Orient se refuse de reconnaître parce que pratiquant un rite jugé « étranger ».

28 août. – Auguste de Grasse-Tilly confère le grade de Prince du Royal Secret au frère Louis Joseph Louvain de Pescheloche, fondateur de Saint-Alexandre. D’autres membres et dignitaires de la loge accèdent également aux hauts-grades écossais.

17 octobre. – Auguste de Grasse-Tilly réunit un Grand Con­sis­toire du 32 e degré de l’Or­dre de la Maçonnerie ancienne.

20 octobre. – Constitution d’un Suprême Conseil de France, avec un effectif de dix Souverains Grands Inspecteurs Gé­né­raux « actifs ». En font notamment partie Jean Joseph Bermont d’Alèz d’Anduze, Germain Hacquet, Godefroid La Tour d’Auvergne, Jean-Baptiste Timbrune de Thiembronne de Valence, Claude Antoine Thory.

22 octobre. – Réunion des Vénérables et Députés des loges écossaises de Paris, dans le local de Saint-Alexandre d’Écosse ; et constitution d’une Grande Loge Générale Écossaise de France qui décide d’«investir le prince Louis Bonaparte de la dignité de Grand Maître », et nomme Au­guste de Grasse-Tilly représentant du Grand Maître. Parmi les dignitaires de la nouvelle institution figurent les maréchaux François Christophe Kellermann, André Masséna, Fran­çois Joseph Le­febvre et Jean Mathieu Philibert Sérurier, le comte de Valence, le comte de Lacépède, Jean Joseph Bermond Alèz d’Anduze, Godefroid La Tour d’Auvergne, Claude Antoine Thory. Le collège des officiers ne compte pas moins de douze grands maîtres des cérémonies et autant de grands experts. On y trouve également deux diacres.

1er novembre. – Diffusion d’une circulaire dans laquelle la Grande Loge écossaise annonce au peuple maçon « répandu sur les deux hémisphè­res » : qu’« un nouveau jour reluit pour la Maçonnerie Écossaise en Fran­ce, depuis trop longtemps persécutée ». Et la nouvelle obédience, « dé­vouée au trône impérial », d’ouvrir sa « correspondance » à toutes les loges « régulières » de France ainsi qu’aux Grands Orients étrangers.

Ayant pour Grand Maître un prince impérial – en théorie – et pour Député Grand Maître, un Souverain Grand Commandeur du 33e degré, la Grande Loge Générale Écossaise devrait pouvoir espérer connaître l’harmonie et la prospérité.Mais c’est méconnaître les ambitions dominatrices du Grand Orient de France et les exigences du pouvoir en place. Aussi, lorsque le maréchal d’empire Kellermann présente au prince-archichancelier Cambacérès la demande de grande maîtrise s’entend-il dire que « Sa Majesté l’Empereur désire que la Grande Loge Générale Écossaise se rapproche du Grand Orient ».

L’amertume est grande dans le camp écossais ; mais les désirs de l’empereur sont des ordres que l’on se doit d’exécuter avec empressement. Une commission composée de neuf représentants de la Grande Loge et de neuf délégués du Grand Orient se réunit à maintes reprises dans la seconde moitié de novembre, afin de dresser un compromis d’entente entre maçons français et maçons écossais ; compromis susceptible de conduire à « l’union perpétuelle » de tous les maçons de l’empire.En font notamment partie les frères Kellermann, Masséna, Roët­tiers de Montaleau, de Grasse-Tilly et Pyron. Le document final est établi le 3 décembre.Il est officiellement signé le 5.

Nota – Soit trois jours après le sacre à Notre-Dame de Paris de Napoléon Ier, empereur des français, par le pape Pie VII (1742-1823).

Acte d’union et Concordat

« Le nouveau plan de constitution générale de l’Ordre Ma­çon­nique en France », nous dit Claude Antoine Thory évoquant le « Concordat » – conclu le 3 décembre, entériné le 5 –, « fut signé [rue de Gre­nelle] dans l’hôtel de Monsieur le maréchal Kellermann, qui honorait les Loges du rite ancien d’une protection particulière. Après ces préliminaires, le Grand Orient de France et la Gran­de Loge générale écossaise furent assemblés dans la soirée du 5 décembre ». Sans doute en leurs lieux habituels de réunion. A la Grande Loge Générale Écossaise « régulièrement convoquée, et fraternellement assemblée sous le vrai point géométri­que, connu des seuls Écossais » – remarquons ici qu’il n’est pas question de Suprême Conseil mais de Grande Lo­ge –,

Le Respectable Frère Pyron a donné lecture du Concordat si­gné entre les commissaires du Grand Orient d’une part, et les com­missaires de la Grande Loge Générale Écossaise, relativement à la réunion de l’« Ancien Rit accepté » au Grand Orient. L’orateur entendu, la Grande Loge Générale Écossaise a déclaré approuver et ratifier tout ce qui a été fait par ses commissaires et qu’elle s’unit dès ce jour au Grand Orient de France pour ne plus former à l’avenir avec lui qu’un seul et même corps de ma­çon­nerie.

Peu avant, au siège du Grand Orient de France, le Grand Vé­nérable Roëttiers de Mon­taleau avait annoncé que l’objet de la convocation générale était d’entériner « le rapport de la Com­mission sur les dispositions et les conférences qui ont amené en résultat un projet d’orga­nisation commun au Grand Orient et aux loges et chapitres tenant au rit ancien accepté ».

Selon le procès verbal de la réu­nion, « les colonnes consultées sur l’adoption de ce projet, la discussion a été ou­verte et la plus grande liberté a régné dans le développement des opinions : elles ont porté la lumière sur les points principaux du projet, et les avis s’étant réunis à son adoption, […] le scrutin a été distribué sur les colonnes et les conclusions du frère orateur ont été adoptées à la majorité de 49 voix contre 5. Cet arrêté a été couvert des applaudissements les plus éclatants ».

Le Grand Vénérable a fait former la voûte d’acier et a député neuf lumières au devant des respectables frères qui venaient s’unir solennellement au point central de la Maçonnerie et se confondre à jamais dans le Grand Orient de France. Le Respectable Frère de Grasse-Tilly, Représentant du Grand Maître, parvenu à l’orient, a manifesté, au nom de ses frères, le vœu d’une réunion absolue, franche et éternelle.Ce vœu, reçu par le Grand Vénérable et les officiers du Grand Orient, a été accueilli avec l’enthousiasme de la joie et de la confiance.[…] Les travaux ont été fermés par les acclamations usitées dans l’un et l’autre rit, et chacun s’est retiré emportant dans son cœur le vif sentiment du bonheur que cette réunion promet à tous les maçons, tant en France que chez l’étranger.

Unit à lui…, ou S’unit à…

Ainsi s’unit officiellement, et dans la liesse générale, ce 5 dé­cem­bre 1804, une jeune Grande Loge Générale Écossaise, vieille de 44 jours, avec un Grand Orient, âgé d’une trentaine d’années… Il n’est pas alors en­visagé de divorce. Pourtant, l’avenir révélera, dans le «Con­cordat », divers vices de forme et de structure ainsi que des divergences quant à son interprétation. Un simple exemple peut être formulé à la lecture du préambule du document :

Le Grand Orient de France, avait-il été écrit par ses commissaires, régulièrement assemblé sous le point géométrique des véritables Maçons, désirant les faire participer non seulement aux travaux des ateliers compris dans le cercle dont il est le centre, mais encore leur procurer un accueil certain et distingué dans tous les temples élevés sur la surface du globe, a pensé qu’il convenait de réunir dans un seul foyer toutes les lumières ma­çonniques et à cet effet d’embrasser la généralité des Rites. En conséquence, il déclare qu’il unit à lui les Respectables Frè­res travaillant exclusivement d’après les principes du Rit écossais ancien et accepté.

Reproduit en partie dans l’« Abrégé historique » de Jean-Bap­tiste Pyron (1814), la phrase « En conséquence, il déclare qu’il unit à lui les Respectable Frères…» devient : « En conséquence, il déclare qu’il s’unit à tous les frères de quel­que Rit qu’ils soient… » Il n’est pas exagéré d’indiquer ici que par son approche du Con­cor­dat, le frère Pyron se fait peu d’amis au sein du Grand Orient de Franceo; qui l’exclut d’ailleurs dès le début de l’année 1805.

On pourrait espérer trouver dans l’Acte d’union et de Concordat une profession de foi maçonni­que, un traité pratique et ésotérique des rites réu­nis au sein du Grand Orient, suite à la transformation de celui-ci en un Ordre maçonnique français unique.Mais, en vérité, il ne s’agit tout au plus que d’une « constitution », rapidement établie, portant sur une réorganisation des structures énoncées dans les statuts et règlements de l’obédience, déjà instaurés en 1800, suite à l’incorporation de la Gran­de Loge de Clermont.

En 36 pages manuscrites le nouvel Ordre maçonnique, qui « n’est composé que des maçons reconnus comme tels », fixe dans le détail sa composition en grands dignitaires, en loges, en chapitres et en grands cha­pitres. « A lui seul appartient de constituer des loges et des chapitres et de leur faire expédier des chartes constitutionnelles. » Il existe un Représentant particulier du Grand Maître « qui tient le maillet dans toutes les assemblées du Grand Orient » ; une Grande Loge Générale Symbolique « qui connaît des chartes constitutionnelles et des certificats de maçons réguliers » ; un Grand Chapitre Général « qui connaît des demandes de chartes capitulaires et de brefs de hauts grades » ; un Grand Conseil des Députés Inspecteurs Généraux et un Sublime Conseil du 33 e degré :

Les attributions du Souverain Conseil du 33 e degré, indépendamment de celles qui appartiennent à ses fonctions, sont de s’occuper des plus hautes connaissances mystiques, et d’en régler les travaux. Il se prononce sur tout ce qui tient au point d’honneur.

Fait complémentaire important à relever (car source de frictions possibles…) : « Le Suprême Conseil du 33e degré peut destituer un Grand Officier du Grand Orient de France. […] Il peut seul se réformer ou révoquer ses décisions. »

Enfin, le Concordat donne la liste des Grands Officiers du Grand Orient, de la Grande Loge Symbolique et du Grand Cha­pitre Généralo; au total près de 150 titres et noms. Sont :

Grand Maître – Son Altesse Impériale le Prince Joseph,

Grand Maître Adjoint – S. A. Impériale le Prince Louis,

Grands Administrateurs Généraux – Son Altesse Sérénissimel’Ar­chi­chan­ce­lier de l’Empire [Cambacérès], S. A.S. l’Architrésorier de l’Em­pire [Le­brun],

Grands Conservateurs Généraux – Le maréchal Kellermann et le ma­réchal Murat,

Grands Représentants du Grand Maître- Roëttiers de Mon­ta­leau et Auguste de Grasse-Tilly.

Il avait été prévu, par les commissaires du Grand Orient de France et de la Grande Loge Générale Écossaise, une finalisation du texte après sa signature par les deux parties.Celle-ci n’interviendra jamais. Car des dissensions apparaîtront dès le mois de janvier 1805 entre les maçons français et certains maçons écossais, entraînant l’inattendu maintien du Su­- prême Conseil de France, obligé pour survivre de s’appuyer bientôt sur des loges symboliques spécifiquement écossaises.

Il demeurera ainsi un Rite écossais ancien et accepté indépendant, tandis que le Grand Orient de France pourra faire prévaloir ses droits sur ce rite compte tenu du Concordat de décembre 1804. Deux siècle plus tard, la querelle n’est toujours pas éteinte…

Voir : Abrégé historique de l’organisation en France des 33 degrés du Rit écossais ancien et accepté (Jean-Baptiste Pyron, 1814). Aux Sources du Rite écossais ancien et accepté (Guy Chassagnard, Éditions Alphée, 2008). Les Annales de la Franc-Maçonnerie (Guy Chassagnard, Éditions Alphée, 2009).

© Guy Chassagnard – Tous droits réservés – guy@chassagnard.net




Guy Chassagnard:

View Comments (4)

  • Roëttiers de Mon­taleau était Grand Vénérable parce qu'il avait refusé la charge de GM laissée vacante par la mort du duc d'Orléans. Une sorte de régence.
    Le REAA ramené par de Grasse-Tilly est un descendant de la maçonnerie de perfection en 25 grades du Conseil des Empereurs d'Orient et d'Occident qui développait la mystique templière de Ramsay. Le CEOO était à l'origine de la fondation des mères Loges écossaises (contrat social etc...) qui ne reconnaissaient pas l'autorité du GODF. Le garde sommital de ce rite était celui de Prince de la maçonnerie, commandeur du Royal secret. C'est nanti de ce titre qu'Eugène Morin partit à St Domingue.
    Les relations conflictuelles avec le GODF firent disparaïtre le CEOO, mais de Grasse-Tilly revient avec une nouvelle version étendue sur 33 degrés (de Charlestow dit Thory) qui ajoutait à l'écossisme de Ramsay la référence Ancien et Accepté de la Grande LOge des Anciens et Acceptés de Dermott.

  • "Car des dissensions apparaîtront dès le mois de janvier 1805 entre les maçons français et certains maçons écossais, entraînant l’inattendu maintien du Suprême Conseil de France, obligé pour survivre de s’appuyer bientôt sur des loges symboliques spécifiquement écossaises."

    J'aimerais savoir sur quelles loges "écossaises" le SC pour le 33° degré s'est appuyé pour "survivre" de 1805 à 1814 ! Présidé par Cambacérès dès 1806, il ne fut qu'un appendice du GODF pendant l'empire (une espèce de club privé pour dignitaires assoupis), se réveillant avec peine en 1812.

  • De nombreuses erreurs dans cet article :
    - le scdf est né en 1821, c'est le Suprême Conseil pour le 33e degré en France qui est né en 1804.
    - en mai Napoléon est proclamé et non sacré Empereur (le 18 mai pour être précis ou 28 floréal an XII). Il sera sacré le 2 décembre. C'est même écrit un plus plus loin dans un nota !!!
    - le 27 novembre 1804 le Grand Vé­nérable Roëttiers de Mon­taleau se démet de sa charge en faveur de Joseph Bonaparte, nouveau Grand Maître de l'Ordre dont il est nommé premier Représentant Particulier. Les 2 références au "Grand Vénérable" sont donc erronées. Doublement pour la 1ère car l'annonce de l'énoncé de la convocation est faite par l'Orateur Challan (cf. "Des actes du Suprême Conseil de France" édité en 1832)

  • Il s'agissait du Suprême Conseil pour le 33e degré en France, né en 1804.
    Le Suprême Conseil de France est né en 1821 du Suprême Conseil des Isles d'Amérique et des restes du Suprême Conseil pour le 33e degré en France.
    Ces détails ont de l'importance car Germain Hacquet était membre du premier Suprême Conseil et n'a jamais été membre de celui de 1821 qui existe toujours rue Puteaux.