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Miscellanea Macionica : Le duc de Wharton fut-il un maçon d’opérette ?

Depuis le dimanche 05 janvier 2014, je vous invite à retrouver une rubrique régulière de Questions-Réponses intitulée « MISCELLANEA MACIONICA » (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.

Voici la Question 16 de la Série Miscellanea Macionica : Le duc de Wharton fut-il un maçon d’opérette ?

On peut se poser la question quand on essaie de dresser la biographie de ce personnage hors du commun, franc-maçon en Angleterre, mais aussi en France et en Espagne, avant de connaître une mort sans gloire.

Philip Wharton, né en 1698, n’avait pas vingt ans qu’il pouvait présenter les marques d’une haute noblesse : marquis de Wharton, de Malmesbury et de Catherlough, par héritage familial, fait duc de Northumberland par le Prétendant (Jacques Stuart) et duc de Wharton par le roi Georges Ier, enfin pair d’Irlande et d’Angleterre. Mais son goût pour les voyages, le luxe et les boissons devait avoir raison d’un avenir qui se voulait des plus prometteurs ; et le mener au trépas, ruiné, à trente trois ans seulement, dans un monastère perdu de Catalogne.

Marié à seize ans, Philip Wharton fut jacobite à dix-sept, légitimiste à dix-huit, jacobite à nouveau à vingt-six. Né protestant, il se convertit au catholicisme à l’âge de vingt-sept ans. Pair d’Irlande à dix-huit ans, il entra à vingt à la Chambre des Lords de Westminster. Éditeur de journal à vingt-quatre ans, il fut colonel à trente, en Espagne, dans un régiment écossais. Ce qui entraîna sa condamnation par contumace, à Londres, pour haute trahison et la perte de tous ses titres et biens personnels.

Philip Wharton fut franc-maçon, mais d’une façon peu orthodoxe. A peine reçu, en 1722, dans la loge At the King’s Arms (Aux armes du Roi), dans le Strand, il imposa sa candidature à la fonction de Grand Maître de la Grande Loge de Londres ; ceci dans des circonstances rapportées par James Anderson dans la seconde édition de son Livre des Constitutions :

– Grande Loge solennelle à la Fontaine du Strand, le 25 mars 1722, avec les Grands Officiers et ceux de vingt-quatre Loges. Ledit comité des quatorze a rapporté qu’il avait examiné avec attention le manuscrit du Frère Anderson, c’est-à-dire « L’Histoire, les Devoirs, les Règlements et les chants de Maître », et l’avait approuvé après quelques amendements. Sur quoi, la Loge a demandé au Grand Maître d’en ordonner l’impression. […] La bonne gouvernance du Grand Maître [John, duc de] Montagu a convaincu la Loge de le reconduire dans ses fonctions pour une nouvelle année ; et de ce fait il a été décidé de maintenir la fête.

– Mais Philip, duc de Wharton, fait récemment Maçon, convoitant la chaire [de Grand Maître] sans être Maître d’une Loge, est parvenu à réunir un certain nombre de Maçons à Stationers-Hall le 24 juin 1722. Ne disposant pas de Grand Officiers, les frères présents ont installé dans la chaire le doyen des Maîtres Maçons (qui n’était pas Maître de Loge) et sans le cérémonial habituel ; ledit vieux Maçon a proclamé à haute voix Philip Wharton, duc de Wharton, Grand Maître des Maçons. M. Joshua Timson, forgeron, et M. William Hawkins, Maçon, ont été nommés Grands Surveillants.

Sa Grâce n’a pas désigné de Député Grand Maître, et la Loge n’a été ni ouverte ni fermée dans la forme accoutumée. En conséquence, tous les respectables frères qui ne voulaient pas accepter de telles irrégularités, ont ignoré l’autorité de Wharton, et attendu que le Frère Montagu porte remède à cette rupture d’harmonie, en convoquant

Une Grande Loge, appelée à se tenir le 17 janvier 1723, à la taverne des King’s Arms, où le duc de Wharton, après avoir promis d’être loyal et sincère, le Député Grand Maître Beal a proclamé le très respectable Prince et Frère Philip Wharton, duc de Wharton, Grand Maître des Maçons ; qui a désigné le Dr Desaguliers, Député Grand Maître. Joshua Timson et James Anderson ont été désignés Grands Surveillants.

Les Grands Officiers et ceux de vingt-cinq Loges ont témoigné leurs hommages. […] La Maçonnerie connaissant l’harmonie, la renommée et le nombre, de nombreux nobles et gentlemen de haute lignée ont demandé à être admis dans la Fraternité, ainsi que d’autres hommes éclairés, marchands, membres du clergé et ouvriers, qui ont trouvé dans la Loge un endroit de plaisante relaxation, loin de l’étude, des affaires, et de la politique.

Aussi le Grand Maître s’est-il vu contraint de constituer de nouvelles Loges, et de se montrer assidu dans la visite hebdomadaire des Loges, avec son Député et ses Surveillants ; et Sa Grâce s’est montrée très satisfaite de la manière aimable et respectueuse avec laquelle elle était reçue…

Le 24 juin 1723, le duc de Wharton descendit de charge, laissant la grande maîtrise à Francis Scot, duc de Dalkeith. Il ne fut plus question de lui dans les loges londoniennes hormis, peut-être, pour commenter cet entrefilet publié le 24 décembre 1724 dans les colon­nes du British Journal :

Il nous revient qu’un pair de haut rang, connu comme faisant partie de la Société des francs-maçons, a consenti à être dégradé comme membre de cette société ; son tablier de cuir et ses gants ont été brûlés et, ensuite, il a été admis en personne dans la Société des Gormogons. Il nous paraît qu’il s’agit du premier duc de Wharton, Grand Maître des Francs-Maçons.

Franc-maçon, Philippe Wharton le fut pourtant encore à Madrid où en février 1728, il participa à la création de la loge At the French’s Arms (Aux Armes françaises) ; et quelques mois plus tard en France où il fut élu premier grand maître des francs-maçons parisiens. Publié en 1736, un petit livre, intitulé Les Devoirs enjoints aux Maçons libres, présente les « Règlements généraux modelés sur ceux donnés par le Très haut et Très Puissant prince Philip, duc de Wharton, Grand Maître des loges du royaume de France, avec les chan­gements qui ont été faits par le présent Grand Maître, Jacques Hector Mac Leane, chevalier baronnet d’Écosse, […] pour servir de règles à toutes les loges dudit royaume ». Dont acte.

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