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Miscellanea Macionica : Hiram – Comment est-on passé de l Histoire au Mythe ?

Miscellanea Macionica : Hiram – Comment est-on passé de l’Histoire au Mythe ?

Voici la question 87 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA »  (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.

Miscellanea Macionica : Hiram – Comment est-on passé de l’Histoire au Mythe ?

On relève fréquemment dans le monde profane que l’Histoire con­duit à la Légende ; tandis que pour le franc-maçon, l’Histoire, source d’enseignements moraux, symboliques et ésotériques, mène au Mythe. Histoire, Légende, Mythe, trois mots qui méritent d’être définis : l’Histoire, dit-on, est à la fois l’étude des faits, et des événements du passé. C’est également un récit destiné à faire revivre, pour l’homme moderne, des temps révolus (Wikipedia).

La Légende, nous explique Émile Littré, dans son dictionnaire, est un récit merveilleux et populaire de quelque événement du passé. Par extension, elle est un récit mythique (?) et traditionnel.

Mais, sur un plan maçonnique, contrairement à ce que peuvent penser bon nombre de francs-maçons – victimes de la confusion –, il existe une nette différence entre la Légende et le Mythe. Le Mythe est un récit, certes, mais un récit « explicatif » qui donne un sens aux faits et aux événements relatés.

Comme Claude Lévi Strauss l’affirme dans son Anthropologie structurale, « la valeur intrinsèque attribuée au mythe provient de ce que les événements, censés se dérouler à un moment du temps, forment aussi une structure permanente » qui « se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur ».

« Les mythes, ajoute-t-il, sont des histoires que les gens se racontent ou qu’ils entendent raconter et qui se sont incorporées au patrimoine collectif du fait d’avoir été répétées et transformées au cours du temps. Chaque société essaie de comprendre comment elle est faite, ses rapports avec le monde extérieur et la position de l’homme dans l’ensemble de l’univers. […] Ce sont donc des histoires qui tendent à fonder, par ce qui s’est passé à l’origine des temps, la raison pour laquelle les choses sont comme elles sont. »

Ceci dit, revenons à Hiram, le fondeur de Salomon, promu architecte et martyr dans la tradition maçonnique :

  • L’Histoire. – Il ne fait aucun doute, ni pour le chrétien, le juif ou l’agnostique que Salomon et le temple de Jérusalem aient existé dans le passé du monde, l’un en tant qu’homme, l’autre comme monument. La Bible, récit religieux et moral d’un peuple, en fait une narration orale que l’on n’a aucune raison de rejeter. Il y est rapporté dans deux Livres distincts que Salomon, fils du roi David, accédant au pouvoir, entreprend de construire un temple à l’Éternel, le dieu des juifs.

Le roi de Tyr, son allié, lui fournit des matériaux et lui envoie Hiram, « fils d’une veuve de la tribu de Nephthali et d’un père tyrien », un homme rempli « de sagesse, d’intelligence et de savoir pour faire toutes sortes d’ouvrages d’airain ».

Selon le Premier Livre des Rois, l’envoyé du roi de Tyr, qui se nomme également Hiram, fait deux colonnes d’airain qu’il dresse ensuite à l’entrée du temple. Il réalise également une mer de fonte, des bases d’airain, dix bassins, des cendriers, des pelles et des coupes.

Pour le Second Livre des Chroniques, Hiram est un « homme habile et intelligent », capable de réaliser toutes sortes d’ouvrages en or, en argent, en airain, en fer, en pierre, en bois et en étoffes. Mais c’est à Salomon que revient tout l’honneur de bâtir le temple et d’en assurer la décoration. Hiram exit, sans autre forme de procès…

  • La Légende. – Par la Légende, nous est racontée la vie d’Hiram – ou du moins ses derniers moments. Au fil des siècles et des générations, le fondeur devient architecte et le maître d’œuvre du temple de Jérusalem. Il lui incombe de diriger et de payer les ouvriers, affectés à la construction. Il répartit ces derniers en trois classes qui reçoivent un salaire correspondant à leurs compétences.

Mais trois mauvais compagnons, qui veulent être rétribués en maîtres, l’agressent le tuent de leurs outils. Salomon envoie des hommes à sa recherche ; qui découvrent son corps, enterré sous un rameau d’acacia.

  • Le Mythe. – La mort malheureuse d’Hiram n’est rien d’autre qu’un banal et malencontreux événement ; jusqu’à qu’elle soit incorporée dans un mythe initiatique. Hiram meurt pour avoir refusé de se soumettre à l’envie, à la menace et à la violence ; il meurt pour ne pas avoir voulu déroger aux règles d’honneur et d’idéal qu’il avait fait siennes ; il est mort pour que sa conduite soit reconnue et observée par les générations futures.

En vérité Hiram ne meurt pas, car il est à même de revivre dans tous les hommes qui, délibérément, en connaissance de cause, s’engagent dans la voie de la connaissance et de la fraternité. Le profane, qui se soumet aux épreuves de l’initiation, s’iden­tifie à Hiram dans sa quête de lui-même. « Connais-toi toi même », a affirmé Socrate.

Compagnon, dit le Vénérable Maître au nouvel initié (au rite français), Hiram représente l’homme juste, attaché à son devoir qu’il accomplit même au péril de sa vie. Il est aussi le grand travailleur, l’artiste puissant, l’organisateur habile et sage qui se survit dans ses œuvres. L’attitude d’Hiram devant ses assassins montre que le maçon doit être prêt à tous les sacrifices plutôt que de commettre une lâcheté et de faillir à son devoir.

Hiram renaît ainsi dans ses disciples et, en particulier, dans le Maître nouvellement initié. Il importe donc que chacun s’applique au perfectionnement de l’humanité. Il se survit aussi dans son œuvre : les efforts vers le bien ne sont jamais perdus et, à travers les siècles, le progrès s’accomplit grâce au travail des Sages disparus.

Les trois mauvais Compagnons représentent trois vices redoutables : l’ignorance, le fanatisme, l’hypocrisie.

Les trois Maîtres qui, en unissant leurs efforts, ont découvert le cadavre d’Hiram, après des recherches laborieuses, représentent les vertus opposées à ces trois vices : le travail incessant, la tolérance la plus large, la loyauté parfaite. Ils montrent, en même temps l’efficacité de l’union de la persévérance et la discipline librement consentie.

Avec l’instauration du précepte de la parole perdue et du mot substitué, le Mythe d’Hiram pourrait être parvenu au terme de ses enseignements ésotériques. Mais dans leur quête de l’absolu – et des hon­neurs… – les francs-maçons ont établi des suites inattendues ; particulièrement perceptibles dans la pratique du Rite écossais ancien et accepté :

  • Au quatrième degré (Maître Secret) – Salomon désigne sept maîtres pour être admis au rang des Lévites – ou gardiens du Tabernacle. Le nouveau Maître Secret, en quête de la Vérité et de la Parole perdue, est l’un d’entre eux. Tiré de l’ignorance, libéré de ses impulsions, il doit apprendre à forger ses opinions et diriger ses actions. « Vous ne prendrez pas, lui dit-on, les mots pour des idées et vous vous efforcerez toujours de découvrir l’idée sous le symbole. »
  • Au cinquième degré (Maître Parfait) – Salomon confie à Adoniram le soin d’organiser les funérailles d’Hiram et d’édifier un mausolée pour recevoir sa dépouille. L’enseignement du Mythe repose sur l’alliance du corps, de la raison, de la conscience et de l’esprit. « Exécutez les ordres que vous donne votre conscience. C’est ainsi que vous serez votre propre architecte. Votre devoir est en vous. Il vous appartient de le découvrir. »
  • Au sixième degré (Secrétaire intime) – Salomon conclut un traité d’alliance avec Hiram, roi de Tyro; Johaben devient secrétaire royal, mais commet un acte grave d’indiscrétion. Condamné à mort par Hiram, il est sauvé par Salomon. Morale du grade : la mort d’un homme, aussi grand et important soit-il, n’est pas une fin : la vie continue pour les autres, qui se doivent de poursuivre l’œuvre entreprise.
  • Au septième degré (Prévôt et Juge) – Salomon fait nommer Johaben, son favori, Prévôt et Juge, et le charge de maintenir la concorde entre tous les ouvriers employés à la construction du temple. L’homme se doit d’obéir strictement aux ordres et mandats du Grand Constructeur ; et d’être juste et équitable envers tous ses frères.
  • Au huitième degré (Intendant des Bâtiments) – Salomon nomme un chef pour chacun des cinq Ordres d’architecture. Il s’agit de mener à bien les travaux entrepris par Maître Hiram dans le Saint des Saints. L’homme se doit de donner l’exemple, dans son travail, et « encourager ses frères, par son exemple, à pratiquer la vertu et à tenir ses ouvrages secrets ».
  • Au neuvième degré (Maître Élu des neuf) – Salomon donne à neuf élus la mission de rechercher et de ramener vivants les assassins de Maître Hiram ; Johaben contrevient aux ordres reçus, et tue l’un d’eux – au risque d’être condamné lui-même par son roi. Si le crime ne doit jamais rester impuni, tout ordre reçu doit être appliqué avec zèle et discernement.
  • Au dixième degré (Illustre Élu des quinze) – Salomon envoie quinze maîtres zélés à la recherche des mauvais compagnons survivants ; ceux-ci lui sont ramenés enchaînés ; ils subiront sans clémence aucune leur châtiment. De prime abord il semble qu’une seconde fin ait été trouvée ici au Mythe ; il n’en est rien car la vengeance n’est jamais à même d’at­ténuer la douleur.
  • Au onzième degré (Sublime Chevalier Élu) – Salomon nomme Sublimes Chevaliers Élus des maîtres qu’il considère être des « hommes vrais en toutes circonstances ». Il leur donne le commandement des douze tribus d’Israël, et leur confie la mission d’œuvrer à la finition du temple de Jérusalem. L’enseignement du grade veut que le frère fidèle et sincère recevra tôt ou tard sa récompense.
  • Au douzième degré (Grand Maître Architecte) – Salomon nomme plusieurs Grands Maîtres Architectes, qui seront chargés d’achever les travaux de construction du temple, et d’assurer la décoration du Saint des Saints, ceci selon les vœux du Grand Architecte de l’Univers.
  • Au treizième degré (Chevalier de Royal-Arche) – Salomon envoie Johaben, Stolkin et Guibulum fouiller les ruines du temple d’Enoch ; ils en reviennent avec un triangle d’or portant le nom ineffable de l’Éternel. Ainsi est démontré le fait que par son courage, sa persévérance et son zèle l’homme peut accéder au degré suprême de la con­naissance. « Je suis ce que je suis, affirme le Chevalier de Royal-Arche, mon nom est Guibulum. »

 

© Guy Chassagnard – Tous droits réservés – chassagnard@orange.fr




 

Guy Chassagnard: