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Miscellanea Macionica : Comment le métier de Maçonnerie a-t-il été introduit en Angleterre ?

Voici la question 59 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA »  (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.

Miscellanea Macionica :    Comment le métier de Maçonnerie a-t-il été introduit en Angleterre ?

Saint Alban ?… Athelstan ?… Edwin ?… Tels sont les noms de trois héros mythiques du « Métier de Maçonnerie » qui, comme chacun sait, fut structuré par le grand clerc Euclide ; du moins si l’on en croit les Anciens Devoirs anglais, à commencer par le Manuscrit Regius datant de 1390. On y lit en effet :

Il [Euclide] l’enseigna dans toute l’Égypte, et en divers pays, de tous côtés ; de nombreuses années passèrent, je crois, avant que le métier ne parvienne en ce pays. Il arriva en Angleterre, comme je vous le dis, au temps du bon roi Athelstan ; celui-ci fit construire des manoirs, des demeu­res, et des sanctuaires imposants, pour se distraire de jour com­me de nuit, et pour honorer Dieu de toutes ses forces.

Ce bon seigneur aimait notre métier, et il entreprit de le con­solider en supprimant certains des défauts qu’il y avait trouvés ; il fit convoquer tous les maçons du métier qui étaient dans le royaume, pour qu’ils vinssent les corriger, s’ils le pouvaient. Il réunit ainsi une assemblée comprenant divers seigneurs, ducs, comtes et barons, et des chevaliers, écuyers et autres gens, ainsi que les grands bourgeois de la cité, tous placés selon leur rang ; ils siégèrent ensemble pour donner un statut aux ma­çons ; et s’ingénièrent à trouver le moyen de mieux administrer le métier.

Le Regius n’a fait que poser les bases de l’histoire, que d’autres textes anciens vont s’efforcer de développer. Le Manuscrit Matthew Cooke (1410) rappelle que la Géométrie et la Maçonnerie furent inventées par Jabal, fils de Lémec, que David et Salomon aimèrent bien les maçons à qui ils enseignèrent les us et coutumes du Métier, que Carolus Secondus (Charles II) fut maçon avant que d’être roi de France.

Peu de temps après arriva saint Adhabell [Amphiballe] en Angleterre, qui convertit saint Albon [Alban] au christianisme. Saint Albon aimait bien les maçons, il leur donna le premier des instructions et des coutumes en Angleterre. […] Il y eut ensuite un noble roi en Angleterre appelé Athelstone [Athelstan] dont le plus jeune fils aimait bien la Science de la Géo­métrie ; il savait bien qu’aucun métier ne possédait la pratique de cette Science aussi parfaitement que celui des maçons ; aussi leur demanda-t-il conseil et apprit-il la pratique de cette Science ; il devint maçon lui-même, et leur donna les instructions et les mots en usage de nos jours en Angleterre et en d’autres pays.

Pour le Manuscrit William Watson (1535), Ethelstone [Athelstan] était un roi païen avant que saint Alban ne le convertît. Il eut un fils, du nom d’Edwine [Edwin] qui lui succéda.

Saint Alban était intendant du roi, maître trésorier et gouverneur des travaux royaux ; il aimait bien les maçons, les protégeait et leur accordait un bon salaire, car un maçon ne percevait alors qu’un penny, sa nourriture et sa boisson par jour…

Edwine [Edwin] aimait bien la Géométrie ; il s’appliqua à apprendre cette Science, et désira aussi en avoir la maîtrise, si bien qu’il appela à lui les meilleurs maçons qui se trouvaient dans le royaume. Et il apprit d’eux la Maçonnerie, et il les aima bien et les protégea ; et il apprit d’eux les devoirs et les coutumes, et ensuite, poussé par l’amour qu’il avait de cet art et les bons enseignements que l’on pouvait y trouver, il obtint une charte de franchise du roi, son père, leur accordant la liberté de rendre par eux-mêmes la justice, et de s’assembler pour régler leurs différends internes. Ils constituèrent une grande congrégation de maçons, qui se réunit à York, où il [Edwin] se rendit lui-même.

Le manuscrit signale que Charles Martel (!) aimait si bien la Maçonnerie qu’il fit venir près de lui Naymus Grecus [Næmus Græcus] « qui avait travaillé à la construction du Temple de Salomon ».

Et quand il [Charles Martel] fut sur le trône, il rassembla des maçons et les aida à faire d’autres maçons d’hommes qui ne l’étaient pas ; il leur fournit du travail, et il leur donna les Devoirs et les coutumes qu’il avait reçus d’autres maçons ainsi qu’un bon salaire. Il les chérit fort et il leur confirma, d’année en année, une charte leur permettant de tenir leur assemblée là où ils le désiraient. Ce fut ainsi que le Métier vint en France.

Preux chevalier et intendant de la maison du roi Athelston [Athelstan], saint Alban aima et chérit les maçons. Il augmenta leur salaire, « eu égard aux ressources du royaume ». Il leur fit obtenir une charte royale leur permettant de tenir un conseil général, « auquel il donna le nom d’assem­blée » ; il y vint lui-même, et il leur donna de nouveaux Devoirs. Athelstan eut un fils, Edwin, « qui aima les maçons bien plus encore que son père ; il pratiqua beaucoup la Géométrie, et s’efforça de fréquenter les maçons et de discuter avec eux, afin d’apprendre d’eux le Métier ».

Par la suite, à cause de l’amour qu’il portait aux maçons et au Métier, il fut lui-même fait maçon. Il obtint du roi, son père, une charte permettant [aux maçons] de tenir chaque année une assemblée, là où ils voudraient dans le royaume d’Angleterre, pour corriger entre eux les fautes et les transgressions qui auraient été commises dans le Métier. Il tint lui-même une assemblée à York ; et là il fit des maçons, leur donna des Devoirs, leur enseigna des coutumes, et il ordonna que la règle en soit gardée à jamais ; il leur confia la charte et la commission, et délivra une ordonnance stipulant qu’ils devraient les faire renou­veler de règne en règne.

C’est donc par l’intermédiaire d’Euclide, de Salomon, de Naymus Græecus, de Charles Martel (ou Charles II, c’est selon), d’Amphabell, de saint Alban, d’Athelstan et d’Edwin que le Métier (ou Science) de Maçonnerie, fondé par Jabal, est parvenu en Angleterre, terre d’excellence de la Maçonnerie des tailleurs de pierre. Sauf que :

Jabal. – Il est dit dans la Bible (Genèse 4:19) que : Lémec [fils de Metsuchaël] prit deux femmes ; le nom de l’une était Ada, et le nom de l’autre Tsilla. Ada enfanta Jabal : il fut le père de ceux qui habitent sous des tentes et près des troupeaux.

Salomon. – Fils de David et de Bethsabée, Salomon est roi d’Israël selon la Bible hébraïque ; prophète et roi selon le Coran. Sa sagesse et sa pratique de la justice ont fait de lui le souverain le plus sage et le plus juste de l’antiquité. Historiquement, on admet que Salomon ait pu être roi d’Israël de 970 à 931 (av. J.-C.).

Euclide. - Mathématicien de la Grèce antique, Euclide (325-265 av. J.-C.) est l’auteur des Éléments, l’un des textes fondateurs des mathématiques.

Charles Martel. – Fils de Pépin le bref (et grand-père de Charlemagne), Charles Martel (690-741) fut duc d’Austrasie et maire du palais avant de régner sur le royaume des francs.

Næmus Graæus. – Autre nom d’un personnage légendaire des Anciens Devoirs encore appelé : Naymus Grecus, Mamus Grecus, Memon Grecus, Marcus Græcus, voire Namus Grenatus ou Maynus. Son origine serait un poème d’Alcuin d’York (735-804), poète et courtisan de Charlemagne.

Charles II. – Petit-fils de Charlemagne, Charles II, dit le Chauve (823-877), fut roi d’Aquitaine et de Francie occidentale avant d’être couronné empereur d’Occident en 875.

Saint Adhabell. – Il s’agit d’une déformation de saint Amphiballe (Amphibalus)o; prêtre chrétien, celui-ci aurait été sauvé de la mort par saint Alban, mais décapité en même temps que lui.

Saint Alban. – La vie de ce saint tient de la légende. Il aurait été, au quatrième siècle de notre ère, un officier de l’armée impériale romaine, et un citoyen de la ville anglaise de Verulamium (aujourd’hui Saint Albans), qui se serait converti au christianisme après avoir hébergé un prêtre chrétien ; il aurait accompli divers miracles avant d’être décapité. Dans une autre vie il (ou un autre saint homme portant le même nom) aurait été moine bénédictin et théologien renommé du XIIIe siècle.

Athelstan. – Roi anglo-saxon légendaire (c.895-939, Athelstan a passé sa vie à guerroyer pour s’imposer aux autres souverains des îles britanniques. Vainqueur de la bataille de Brunanburh (937), remportée sur les rois Olaf Gothfrithson de Dublin, et Constantin II d’É­cos­se, il s’est alors proclamé « Roi de toute la Bretagne ».

Edwin. – Souvent qualifié dans les Anciens Devoirs anglais de fils d’Althelstan, et considéré de ce fait comme son successeur naturel, Edwin (mort en 933) était en fait le fils cadet d’Édouard l’Ancien, et le demi-frère d’Athelstan. Il mourut noyé lors d’une tempête.

On aura remarqué que, de toute évidence, Næmus Græcus n’a pu servir le roi Salomon ; que Charles Martel et Charles II n’ont pas été contemporains ; que saint Amphiballe et saint Alban ont vécu aux IVe siècle de notre ère, tandis qu’Althelstan et Edwin sont morts au Xe siècle. Mais qu’importent les confusions de temps puisque demeure la légende.

• Pour plus d’information : Les Anciens Devoirs (Guy Chassagnard, Éditions Pascal Galodé, 2014).

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