X

Miscellanea Macionica : Comment la disparition d’un homme a-t-elle pu déstabiliser la Franc-Maçonnerie américaine ?

Voici la question 61 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA »  (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.

Miscellanea Macionica :  Comment la disparition d’un homme a-t-elle pu déstabiliser la Franc-Maçonnerie américaine ?

Cela aurait pu n’être qu’un banal fait-divers, comme il s’en produit souvent dans notre bas monde : la disparition inexpliquée d’un homme ou son assassinat non élucidé. Ce fut pourtant une « affaire », presque d’état, qui empoisonna la vie américaine, maçonnique et profane, pendant plus de dix ans. Nous voulons évoquer ici la trop célèbre « Affaire Morgan ».

Avant. – Au commencement de l’Affaire, il y a le Capitaine William Morgan, âgé d’une cinquantaine d’années, qui, originaire de Virginie, habite Batavia, une localité perdue de l’état de New York ; il y exerce la profession de maçon opératif – cela ne s’invente pas – et se dit franc-maçon spéculatif – ce qui n’est pas pleinement établi… Se voyant refuser l’accès au chapitre local de Royal Arch, Morgan fait savoir aux uns et aux autres qu’il va publier un livre de révélations maçonniques ; et annonce sa mise en vente dans les colonnes du Batavia Republican Advocate. Ce qui est peu apprécié des francs-maçons de la région.

Le 10 septembre 1826, des inconnus tentent de mettre le feu à l’imprimerie de David C. Miller, éditeur de Morgan, tandis que le vénérable maître d’une loge de la région fait arrêter ce dernier pour le vol d’une chemise et d’une cravate.

Pendant. – Le 11 septembre, William Morgan est transféré à Canandaigua, localité située à 80 km de Batavia, où il est emprisonné. C’est là que le présumé voleur a un jour emprunté la chemise et la cravate à un aubergiste, mais oublié à son départ de rendre son emprunt. Relâché pour manque de preuves, Morgan est de nouveau arrêté pour avoir omis de rembourser une dette de quelques dollars à son prêteur, et emprisonné. Le 13 septembre, trois hommes – tous francs-maçons – se présentent à la prison de Canandaigua pour payer la caution assurant sa mise en liberté.

On voit alors Morgan monter, de force semble-t-il, dans une voiture à cheval ; mais nul ne le verra jamais en descendre, ni à Canandaigua, ni ailleurs. Sa disparition donne lieu, comme il se doit, à une enquête officielle qui permet de reconstituer l’itinéraire suivi par les ravisseurs : partis de Canandaigua, ceux-ci sont parvenus à Fort-Niagara le 14 septembre, après être passés à Rochester, Lockport et Lewiston. Selon ses trois compagnons de route, bientôt iden­tifiés et condamnés à des peines légères pour enlèvement, Morgan s’est alors vu remettre une somme de $ 500 et un cheval pour quitter le pays et se faire oublier au Canada.

La rumeur fait, quant à elle, état d’un véritable guet-apens : Morgan aurait été mené sur une barque au milieu de la rivière Niagara et jeté, enchaîné, dans ses eaux ; ou d’issues plus farfelues les unes que les autreso: il aurait fui la possible vindicte des francs-maçons en Alaska, à Cuba, en Turquie ou encore aux îles Caïman… Morgan disparu ou mort, sa veuve, de 27 ans sa cadette, épousera un homme de 20 ans son aîné ; avant, dit-on, de devenir l’une des épouses de John Smith, le fondateur de l’Église mormone.

Après. – Quoi qu’il en soit, la disparition de William Morgan n’empêche pas la parution de son livre, intitulé Illustrations de la Maçonnerie, par un membre de la Fraternité qui a consacré trente années à son sujet. Celui-ci connaît un grand succès de librairie et se vend à des milliers d’exemplaires aux États-Unis, donnant naissance à une campagne antimaçonnique des plus virulentes. L’auteur devient alors, à titre posthume, le symbole du défenseur du bon droit et de la liberté d’expression… Les sentiments antimaçonnique se propagent rapidement à travers l’état de New York et les états limitrophes. De l’avis de Robert Freke Gould, auteur d’une Histoire de la Franc-Maçonnerie (1887) :

Ce pays a connu des luttes politiques féroces et amères, mais aucun autre n’a éprouvé l’amertume d’une telle campagne contre les francs-maçons. Aucune société, civile, militaire ou religieuse, n’a échappé à son influence. Aucune relation de famille ou entre amis ne lui a fait obstacle. La haine de la Maçonnerie a été effective en tous lieux, et n’a connu aucun répit.

Tandis que se multiplient les réunions antimaçonniques et que se constitue un Parti antimaçonnique (Anti-Masonic Party), les francs-maçons ne peuvent que faire profil bas. Les loges se vident et ferment leurs portes ; la Grande Loge de New York perd en quelques mois 405 de ses 480 loges, celle du Massachusetts n’administre bientôt plus que 52 loges sur les 107 inscrites sur ses rôles. Après les élections présidentielles de 1828 et la fin de son mandat, le sixième président des États-Unis, John Quincy Adams, devient l’une des grandes figures de l’Antimaçonnisme. Des anti-maçons se portent candidats au niveau local, d’état, voire fédéral ; rarement élus, il est vrai. La population des États-Unis est à cette époque de 13 millions d’habitants.

Mais les « faits-divers », même quand ils ont les apparences de grands faits de société, s’effacent dans les esprits avec le temps qui passe. Douze ans après la disparition de William Morgan, le Parti antimaçonnique perd ses ambitions, ses adhérents et disparaît. Les mouvements de protestation et les réunions antimaçonniques se font plus rares. Quant aux francs-maçons ils regagnent peu à peu leurs temples et reprennent leurs réunions. Le nom même de William Morgan est oublié, hormis en sa ville de Batavia (7 000 habitants aujourd’hui), où une statue sera érigée en son honneur en 1882.

Nota – Il semble que, souvent qualifié, de son vivant, du titre de Capitaine, William Morgan n’ait jamais été militaire ; pas plus qu’il n’ait été franc-maçon, son accession au rang de Royal Arch n’étant due qu’à une affabulation. On a cependant témoigné de sa présence régulière en loge symbolique…

• Voir : Illustrations of Masonry by one of the Fraternity who has devoted 30 years to the subject (Captain William Morgan, 1827). The Antimasonic Party in the United States – 1826-1843 ( William Preston Vaughn, Univer­sity Press of Kentucky, 1983). The Freemasons – A History of the World most powerful Secret Society (Jasper Ridley, 1999). Documents divers sur Internet.

© Guy Chassagnard – Tous droits réservés – chassagnard@orange.fr

www.theoldcharges.com

www.chassagnard.net

www.anciensdevoirs.com

www.masonic-info.com

Guy Chassagnard: