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LIBERTÉ, LIBERTÉ, CHÉRIE – JÉRÔME TOUZALIN

Jérôme Touzalin est un dramaturge , responsable de la communication et membre du Conseil de l’Ordre, de la Grande Loge Traditionnelle et Moderne de France.

 Voici donc la « Chronique (imp)pertinente de Jérome »  :

                                               LIBERTÉ, LIBERTÉ, CHÉRIE

L’homme est-il libre ? Vieille question. Les philosophes parmi les plus grands ont chacun apporté leur réponse, et bien évidemment ils ne sont pas du même avis… ce serait trop simple sinon. Alors si même les philosophes ne trouvent pas la solution, je ne vais sûrement pas y parvenir. Cependant, en tant que F.M. je peux faire part de ma petite réflexion sur la question

Il y a donc le camp de ceux qui pensent que l’homme jouit d’un entier libre-arbitre, qu’il est dans une totale liberté de choix, à chaque instant, à chaque fois que se pose un problème à lui et il y a ceux qui, à l’inverse, considèrent que l’homme n’a aucune liberté, qu’il est conditionné, qu’il est formaté dirait-on aujourd’hui, par ses origines, son milieu social, culturel, son éducation.

Mais commençons simplement… La première liberté qui nous importe est celle qui a trait à notre vie de citoyen. Pouvoir dire du mal de ceux qui dirigent l’État sans qu’un policier ne viennent sonner à notre porte dans le quart d’heure qui suit. Liberté aussi de pouvoir choisir ceux qui vont nous représenter pour conduire les affaires de la cité ; pouvoir affirmer sa foi en un Dieu, n’importe lequel, pouvoir prier debout, assis, à genoux, tête nue ou couverte, sans qu’on vienne vous reprocher votre posture ou votre couvre-chef, ou tout à l’inverse pouvoir proclamer haut et fort son athéisme ; liberté encore que de vivre en couple hétérosexuel ou homosexuel, ou avoir une femme dans chaque port au grès de notre vie libertine, pouvoir choisir la façon dont on conduit sa vie sociale, professionnelle etc. etc. Tout cela est une liberté de surface, celle à laquelle on pense le plus immédiatement, car dans le fond, si on gratte un peu, si on creuse l’origine de nos choix, est-ce librement que nous sommes croyants ou athées ? Qu’est-ce qui nous fait aimer la montagne plutôt que la campagne ? Préférer la couleur bleue à la couleur verte ? Fondre pour les grandes blondes plutôt que pour les petites brunes. Opter pour un régime politique de rigueur qui contrôle tout plutôt que pour un système plus détendu où chacun dit aisément son mot.

Un jour que je songeai à tout cela en marchant le long d’un trottoir parisien, j’ai soudain entendu, échappée d’une fenêtre ouverte, une musique, une musique reconnaissable entre toutes, il s’agissait de Mozart, et une fois de plus je ne pouvais que m’extasier à l’écoute de tant de beauté, je me disais quelle chance de pouvoir disposer d’un tel talent, de voyager ainsi dans les sons, de sublimer la pensée, de tutoyer les espaces infinis.

J’ai donc rejoint ma voiture, à quelques centaines de mètres de là, puis, une fois installé, j’ai mis la radio… et aussitôt, étonnante coïncidence, encore du Mozart ! Un autre célèbre morceau, alors là, je me suis dit : Décidément, ce M. Mozart, ne sait faire que du Mozart ! le voilà attaché à sa manière, ça lui revient comme un automatisme… il ne va certainement pas nous faire du Chostakovitch ou du Debussy, (qui eux-mêmes, par parenthèse, ne font que ce qu’ils savent faire) Wolfgang nous fait donc immanquablement du Mozart, il est prisonnier de son génie, il ne peut pas aller ailleurs pour s’échapper à lui-même, il se retrouve partout tel qu’en lui-même la nature l’a créé, dans ces conditions y a-t-il une liberté ? car il en est ainsi pour tout le monde, du plus modeste humain au plus grand génie, il produit ce pourquoi il est fait… Rembrandt fait du Rembrandt, Picasso du Picasso… Et moi qui vous parle, si j’aborde ce sujet sous cet angle, est-ce que je pouvais le faire autrement ? Cette façon de penser l’ai-je librement acquise ? Je me sens très proche de Spinoza quand il dit : « La conscience de notre libre-arbitre résulte simplement de l’ignorance des causes de nos actes ».

Notre liberté n’est-elle pas celle d’une voiture autonome qui croirait que si elle tourne à droite c’est parce qu’elle l’a librement décidée ? alors qu’un programme y a pourvu, y-a-t-il dans ma tête, là aussi, un programme qui me conduit ? Notre intelligence ne serait-elle pas artificielle ?

Que fait l’avocat quand il défend le criminel si ce n’est d’exposer ce qui devait amener immanquablement son client à commettre l’acte irréparable dont on l’accuse ? Si la prison l’attend c’est qu’il n’a pas pu échapper à tous ces chemins qui, fatalement, l’on précipité dans les tréfonds de son dramatique destin. Ce qui n’est en rien une excuse et son geste doit être condamné, c’est ce qui explique pourquoi, vivre en société, c’est organiser au mieux nos circuits prédéterminés.

Alors, le F.M. lui… comment s’en sort-il ? et est-ce qu’il s’en sort ? Le F.M. commence comme tout le monde, surgi du cabinet de réflexion, il fait sagement ses trois petits pas, bien dans l’axe de l’Orient, le voilà sur sa rampe de lancement… il va suivre les consignes, autrement appelées « rituel » tout est apparemment prévu, dirigé, reproduit à l’identique depuis quelques siècles… et pourtant si le FM semble suivre un chemin préétabli, il comprend vite que sans être expressément dans un espace de liberté, il est dans un monde d’ouverture…  Si on ne peut pas s’envoler librement à travers les espaces infinis, on peut ouvrir nos fenêtres, on peut laisser pénétrer la lumière qui vient de partout… puisque l’on n’a pas la possibilité d’être autre chose que soi, de penser différemment, d’être sûrs que  nos réflexions ne sont pas des fruits parasites, semés en nous, le F.M. pour s’extraire de lui-même et de tout ce qui le conditionne, il a la possibilité d’écouter les autres, de s’intéresser à ce qui vient d’ailleurs, d’accueillir la richesse du monde ; notre liberté on la trouve dans le voyage de l’esprit… c’est ce qui déplait tant à nombre d’institution enfermées dans leur idéologie, dans leurs dogmes, si le FM est soumis à sa nature d’homme façonné, éduqué, à son caractère, sa personnalité, à son époque, autant d’éléments qu’il n’a pas choisi pour lui-même, c’est la Franc-maçonnerie toute entière qui est un espace de liberté ; la liberté se trouve là, dans le temple, cette colonne qui manque est le signe que rien n’est fini, que rien n’est clos, qu’il y a toujours la possibilité d’une sortie… on laisse sa chance à ce qui peut advenir.

Tout comme les animaux qui de générations en générations reproduisent inlassablement les mêmes comportements, l’abeille qui reconstruit ses alvéoles toujours selon la même façon et ce, depuis des millénaires, l’homme aussi répond à des ordres innés qui lui sont imposés, le franc-maçon a compris que c’est en corps collectif qu’il vit la liberté, si on ne peut pas soi-même être un autre que celui que l’on est, donc avoir des idées différentes, des goûts nouveaux, des pensées inattendues, pour être libre il suffit d’être accueillant à tout ce qui n’est pas soi.

Jérôme Touzalin.

A.S.: