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LA VOIE MACONNIQUE : MÉFIE-TOI DU 2 MEURTRIER

Jacques Fontaine , l’un de nos illustrissimes blogueurs : « Les empêcheurs de maçonner en rond , nous offre cette réflexion  :

La Voie maçonnique :

Méfie-toi du 2 meurtrier

            Les « Frères trois points », voilà comment, dans ma jeunesse, on nous appelait. Nos poignées de main, nos triples baisers, nos trois degrés, l’âge de l’Apprenti, la signature de certains Frères, enlacées des points en question, frappaient les profanes et les politiques nous surnommèrent ainsi ; sans mépris d’ailleurs mais avec humour. Cette coutume s’est estompée avec le recul de l’influence de l’Ordre.Même si le précédent Président de la République ne cacha pas son passage au Grand Orient de France. Ç’est maintenant l’anti-maçonnisme qui retrouve un regain de forme sur les réseaux sociaux. La paranoïa, péché pas mignon de l’être humain, trouve, avec nous, de quoi faire exploser la théorie du complot. Bof ! C’est, à mes yeux, une manière de saluer notre sérieux et un peu aussi notre influence. Et cela nous réveille dès qu’il faut réagir officiellement. Tant que nous resterons en démocratie, avec notre liberté d’opinion et de son expression, ce n’est pas bien grave.

            Les initiations de tous poils, hier et aujourd’hui, aiment bien faire chanter les nombres[1] et l’arithmologie se porte bien dès les âges anciens. La Voie maçonnique ne pouvait s’en exonérer. Car les nombres ont un pouvoir évocatoire en chacun, qui n’a pas besoin de grandes explications érudites. Demander à un profane ami : « Qu’évoque pour toi le nombre 5 ? » et il vous produira sa réponse. Je dis bien SA réponse. Car au-delà des sens convenus, comme les âges de chaque degré, chacun folâtre dans son imagination et personne n’a rien à redire à cela. Dussent les maître maçons en symbolisme se fâcher au nom de la tradition (Ah, cette tradition !) et de la régularité. Et les dictionnaires de symboles se rapetisser au rôle de boute-en-train. Certains en ont besoin d’ailleurs pour enflammer leur imagination et leur intuition sur eux-mêmes. Car l’essentiel est dans la recherche et la production personnelles.

            Ainsi les nombres que nous aimons bien, après notre chouchou, le 3, sont impairs : le 5, le 7. Et cela continue dans les degrés de perfectionnement :9,  27, 81 ans…Alors que le 4 est mollement mobilisé avec la forme de la loge[2]. Quant aux 6 et au 8, ils ne vivent, le cas échéant, que dans le cœur de ceux et celles qui les ressentent vraiment comme porteurs de message pour eux. Nous avons donc, avec le choix de l’impair, une piste sérieuse de réflexion. Pourtant, me diras-tu, je n’ai pas évoqué le premier nombre impair, l’1 (L’Un serait plus seyant) et le premier nombre pair, le 2. C’est volontaire car ces nombres posent de sacrés questions dans notre développement personnel maçonnique.

            Je vais commencer par le 2 car c’est le plus dangereux dans l’emploi que nous en faisons. L’Un, tu le verras, est, à mon sens, une extension envisageable pour demain, dans l’évolution du rituel. Le 2, est, en fait lourd de sens dans nos rituels : les deux colonnes Jakin et Boaz , les deux colonnes d’adeptes, héritières de la disposition de la Chambre des Lords. Mais avec un sens maçonnique qui dépasse, et de loin, la racine historique. Et puis le soleil et la lune qui brillent à l’Orient, au vu et au su de tous. Enfin, l’inévitable pavé mosaïque avec deux couleurs, le blanc et le noir. Il ne figurait pas sur le Tuileur de claude André Vuillaume  (1820) pas plus que sur celui de  son «  concurrent » François Henri Stanislas Delaulnaye (1813). Une prémonition du gâchis symbolique dont sera et est toujours ce pavé mosaïque.

L’idée simple découle en bonne part de la religion, avec ses fidèles et ses infidèles, ses élus et ses réprouvés . Les mille ans médiévaux ont incrusté dans les têtes cette croyance : tout est d’un côté, le bon ou d’un autre, le mauvais. À partir de là, la découpe de la réalité extérieure et de celui des valeurs devient une évidence. Et l’individu qui fuit la complexité des mondes, trouvent le confort. Ne se range-t-il pas parmi les bons ? Et le confessionnal est prêt à le tirer vers le bien. Laid ou beau, utile ou superflu, profond ou léger, méchant ou gentil, égoïste ou aidant…La liste est interminable : on dérive vite du jugement sur les idées ceux qui portent sur les humains : il y a les amis et les ennemis Mais pourquoi donc ce travers est-il encore si fréquent même si l’époque actuelle est beaucoup plus retenue. Voici mon hypothèse : L’agressivité forte est constitutive à l’hominidé mâle. Mais souvent elle le gêne pour vivre dans un minimum de bonnes relations. Alors la société convient, dans un accord tacite de diviser le monde en deux. Elle est épaulée par le fait qu’il existe deux sexes, que l’on a tôt fait de réputer complémentaires. Pourquoi pas d’ailleurs.

Il est plus difficile aujourd’hui de cisailler le monde en deux. De plus en plus, on admet la complexité ; comme les Chinois l’ont fait depuis longtemps. Mais j’observe que , plutôt souvent, en tenue, la tentation est forte de ce dualisme meurtrier, N’est-il pas un mets de choix pour les belligérants qui se font la guerre. C’est pour cela que je ne suis pas d’accord avec le pavé mosaïque qui fait croire à nos yeux, en permanence que nous sommes comme ceci ou comme cela. Bien sûr j’entends des Sœurs, des Frères me rétorquer « Mais entre les carrés, il y a le liseré bleu ; il montre bien qu’il y a un juste milieu ; puis-je rappeler que dans le Yi Jing, on dénombre 64 situations de vie ? Réduits bien souvent par les Occidentaux au Yin et au Yang, qui, en fait, ne sont que des possibilités extrêmes. La dualité existe certes mais elle doit rester un repère et ne pas s’avachir dans un système de pensée dualiste qui nous emprisonne. Et je me méfie un peu de la citation attribuée à Saint Exupéry et balayant en grand le bas de l’escalier du Grand orient : « Si tu diffère de moi, Frère, loin de me léser, tu m’enrichis ». Certes, certes mais n’avons-nous pas d’abord le devoir de rechercher les ressemblances que nous avons avec des personnes très différentes de nous : un lapon, un animiste, une médium, un zimbabwéen, un croyant orthodoxe ou un anarchiste convaincu. Ce dualisme est entretenu par notre rituel et j’ai entendu comme toi, des déclarations que j’ai trouvées stéréotypées et dangereuses. Je vais prendre un seul exemple en le détaillant pour bien te montrer en quoi ce dualisme qui rôde dans nos loges peut être dangereux.

            Si on demande de quel sexe est le soleil, qui ne répondra pas : « mâle » ? Pas beaucoup. Même si en allemand, on dit « La soleil » (Die Sonne). Et la lune, alors devient évidemment féminine. Et de de faire une relation avec les deux officiers qui siègent benoîtement sous les deux astres. C’est évident : l’Orateur, c’est la Loi comme le soleil régit la vie. Quant au Secrétaire, il est le « reflet » de ce qui se dit en tenue comme la lune qui est, selon cette interprétation, soumise au soleil et reflète son éclat. Là le dérapage commence dans le dualisme dur : un supérieur et un inférieur. Alors qu’il y a tout à parier que nos anciens sentaient les deux corps comme égaux. Mais le dérapage dualiste, sans possibilités d’une infinité de positions intermédiaires, va encore s’alourdir. On passe alors à une autre question, qui, comme par hasard[3], semble en harmonie avec  les lectures précédentes : « Du soleil et de la lune, qui est actif, qui est passif ? » Et la boucle inconsciente et solide fait rayonner le maçon, de plaisir symbolique. Bien sûr c’est le soleil qui est mâle (donc) actif et la lune qui est femelle dominée, (donc) passive.

            Avec « actif et passif », nous arrivons là à l’acmé du dualisme : une jugement social justifié par une lecture erronée. Depuis des millénaires, les hommes ne cessent d’affirmer qu’ils sont actifs et leurs femmes, passives. Avec les débordements machistes si souvent inscrits dans nos neurones. Voilà le dualisme. Alors que la dualité, la réalité s’expriment autrement, à l’initiative entre autres de Françoise Dolto : la plupart des femmes sont réceptives mais pas toutes ; une majorité d’hommes sont émissifs, mais pas tous. Ce dualisme tend à reculer au profit d’une reconnaissance des « genres ». La dualité homme-femme accueille dans l’espace entre les deux sexes bien définis, les LGBTI[4]. Ouf, quelle respiration. Nous ne sommes plus tenus à nous couvrir des oripeaux des stéréotypes sociaux. Du moins dans les pays moralement ouverts.[5] « Bien sûr, penses-tu, les Francs-maçons n’ont jamais été victime de ce dualisme sur le plan social ; ils sont à la pointe de tous les combats sociaux. Eh bien, non, tu te trompes : jusqu’en 1980, selon l’amendement Mirguet voté en 1960, les homosexuels furent considérés comme des « fléaux sociaux ». Et la question à l’étude des loges du GODF, montrent sans ambages que la moitié des Frères étaient d’accord. Alors soyons prudents en évoquant les progrès sociaux dont nous serions co-auteurs.[6]

            Voilà donc un des méfaits du dualisme : le machisme, l’homophobie encore latente. J’ai développé sur une page l’exemple frappant de l’ « actif » et du « passif »car il débouche sur la sexualité, sujet toujours révélateur de nos mœurs. Ce dualisme sert de support de pensée dans tous les domaines : économique, social, politique, scientifique…Cela ne signifie nullement que nous n’ayons pas de convictions bien ancrées en nous. Certes mais à la condition de savoir, par empathie, écouter ce que les autres ont à dire.

            Ma Sœur lectrice, rends service à notre communauté : arrache le pavé mosaïque !

Car le 2, chanté dans nos loges, fait trop souvent le lit du dualisme, clivant, cisaillant, intolérant dans le climat bienveillant d’une tenue. En sois-tu remerciée !


[1] En arithmologie (nommé vulgairement numérologie), les chiffres n’existent pas .De 1 à 9,  on les appelle des nombres. Je ne sais pas pour quelle raison mais c’est l’usage dans cette discipline ésotérique.

[2] Carl Gustav Jung prétendait que le nombre 4, symbolisait, dans l’inconscient individuel et collectif. À relier, à toi de voir, avec le quatrième pilier parfois appelé justement « le pilier manquant ».

[3] « pas par hasard » bien sûr. L’inconscient collectif connaît la réponse et pousse à formuler la question ; l’adepte se sent ainsi consciemment pertinent et ne se doute pas de ce qui s’est s’est tramé en lui.

[4] LGBTI pour Lesbienne, Gay, Bisexuel, transgenre, Intersexe.

[5] Sais-tu qu’une dizaine de pays, encore, tuent les LGBTI ? Sans parler des emprisonnements, des tortures,72 états ont encore une législation répressive. comme en Russie.

[6] Initié en 69 j’ai attendu 1981 pour dévoiler mon orientation sexuelle.

A.S.:

View Comments (2)

  • Merci pour ce travail d'éclairage de la dualité...
    mais je suis plutôt ouvert sur la perspective de construction maçonnique que reprend Guylaine
    la vocation du franc-maçon est bien de dépasser la dualité pour tendre vers le 3...
    3 qui est la base de notre méthode pour voir autrement les choses qui semblent bien établies...
    ce que tu démontre d'ailleurs dans les oppositions et que le rituel nous dit ' fécondes '...
    alors mon frère Jacques... à bientôt pour la réconciliation... avec le 3 ?

  • Mon très cher frère, c'est parce que nous savons passer du binaire au ternaire que nous ne voyons plus l'opposition mais la complémentarité dans les dualités matiéralisées en loge.
    Les case du pavé sont noires OU blanches (vision binaire) mais le pavé est blanc ET noir :-)