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INTERVIEW D’UN FRANC-MACON ANONYME


Le blog « Digital Marmelade » a procédé, en 2010, à l’interview d’un franc-maçon « anonyme », Monsieur X…

Questions/Réponses toutes bien tournées et objectives surtout…Pourquoi, comment, orientation, développement personnel, etc… A lire

Même si l’entretien date il n’en demeure pas moins qu’il est toujours d’actualité !

Source : http://www.digitalmarmelade.com/2010/04/la-franc-maconnerie-c-est-quoi/

digital marmelade : « Monsieur X, pourriez vous vous présenter en quelques mots ? »

Monsieur X : « J’ai 30 ans, deux enfants, je travaille dans la fonction publique. Je suis maçon depuis quatre ans. »

digital marmelade : « Monsieur X, vous avez accepté de répondre à nos questions sur la franc maçonnerie, à condition que votre nom ne soit pas cité. Pour commencer, pourriez-vous nous préciser ce qui a motivé ce souhait de l’anonymat ? »

Monsieur X : « Par tradition, la franc-maçonnerie est discrète et non secrète. Les loges ne dévoilent jamais les noms de leurs membres et on ne doit jamais révéler l’appartenance maçonnique d’un frère ou d’une sœur sans son accord. Par contre, il est tout a fait possible de librement assumer sa qualité de maçon, d’en parler autour de soi et d’en être fier. C’est même, de plus en plus, une attitude qui se développe et qui est encouragée par les obédiences qui espèrent, par ce moyen, réussir à communiquer et à lutter contre les idées fausses et les erreurs. Il y a en effet beaucoup de croyances qui associent la maçonnerie à une religion, à une secte, à un club service ou à une organisation politique. L’anonymat n’est donc qu’une mesure de protection contre ceux qui pourrait s’accrocher à leurs visions floues et m’en tenir rigueur ailleurs qu’ici. Il suffit de voir la crainte et la haine que la maçonnerie à concentrer pendant la seconde guerre mondiale et qui existe encore de nos jours (L’église catholique n’excommunie plus les maçons que depuis 1983). Toutefois, j’en parle volontiers de vive voix avec ceux qui le désirent et je propose régulièrement à certains de rejoindre la maçonnerie. Le club de poker bien connu par ici est d’ailleurs un formidable vivier de recrutement et de débat. »

digital marmelade : « Vous parlez de frères et de soeurs ? »

Monsieur X : « La franc maçonnerie est une fraternité. Elle se veut un moyen pour les individus de se réunir et de tisser des liens. Il n’est pas question de réunir des personnes qui se ressemblent uniquement, mais un éventail représentatif de la société. Les seules raisons qui motivent un refus d’admission en maçonnerie dès le départ sont l’appartenance au front national et ne pas avoir un casier judiciaire vierge.
Entre nous, nous nous tutoyons tous, et croyez moi, il y a certaines personnes qu’il n’est pas facile de tutoyer, et nous nous faisons toujours les trois bises fraternelles (qui symbolisent l’effort de pensée ternaire).
Il y a une différence entre la fraternité et l’amitié. La fraternité englobe des notions d’entraide et de respect dès le départ. L’amitié vient par la suite. »

digital marmelade : « Un casier judiciaire vierge ? Pas le droit au pardon dans la franc maçonnerie ? »

Monsieur X : « Les francs maçons se disent « libres et de bonnes mœurs ». En étant présumé innocent ou après avoir purgé ta peine, il n’y a pas de souci. J’avoue ne pas m’être intéressé au problème car je n’y ai pas été confronté. Je me renseignerai. C’est un peu comme pour rentrer dans la fonction publique, on te demande un casier judiciaire vierge. Les petits délits s’effacent avec le temps. »

digital marmelade : « Vous parlez d’un vivier de recrutement : la franc maçonnerie recrute des nouveaux membres ? En permanence ? »

Monsieur X : « Oui bien sûr. Il n’est pas question de recruter pour faire du chiffre ou d’être rentable. L’adhésion annuelle de mon obédience est de 250 euros par an, c’est moins cher qu’un club de sport. Elle comprend la location des locaux, les frais de gestion et la participation aux œuvres caritatives. C’est une association loi 1901 qui n’a pas le droit de faire des bénéfices. Ils ont bien sur un capital immobilier hérité du passé.
Nous recrutons donc parce que c’est en étoffant nos rangs de personnalités et d’avis différents qu’on s’enrichit. Personnellement, je trouve l’expérience unique et fantastique, j’ai donc naturellement envie de la faire partager à ceux chez qui je sens une sensibilité, un désir d’aller plus loin, ou des interrogations sur la vie et ses buts. C’est en regroupant les pierres qu’on construit les cathédrales. Si par cette interview, certains ont des questions ou des demandes, qu’ils n’hésitent pas d’ailleurs. »

digital marmelade : « Et existe t-il des façons de se reconnaître entre « frères » et « sœurs » ? »

Monsieur X : « Oui, il existe des signes, des « attouchements » et une connaissance du rituel. Il existe aussi un vocabulaire particulier. A travers certaines questions, on arrive à se reconnaître. Cela m’est arrivé récemment sur mon lieu de travail ou j’ai découvert un vieux maître maçon chez quelqu’un que je croisais tous les jours au travers d’une phrase qu’il a prononcé. Au fil du temps, on se rend compte que la façon d’être change vraiment dans le bon sens, on découvre des personnes plus attentives, plus réfléchies, plus ouvertes et plus tolérantes. Vous n’imaginez pas le nombre de personnes que l’on connaissait à l’extérieur et que l’on peut croiser dans les parvis autour des loges.
Il n’est pas non plus question de réseau de connaissance ou de favoriser des frères sur le plan professionnel. On sait juste que quand on rencontre un maçon, on peut être sur de ces valeurs et de son goût du travail. »

digital marmelade : « Nous n’y connaissons pas grand chose chez digital marmelade en franc maçonnerie. Commençons par le début : comment êtes vous rentré dans la franc maçonnerie ? »

Monsieur X : « C’est une façon de penser qui m’a toujours attiré ainsi que l’idée de laïcité. J’ai entendu parlé de maçonnerie un jour et le reste s’est enchainé naturellement. J’ai entrepris les démarches et un an après, me voici, assistant au tenue. La procédure d’enquête préalable à l’initiation est passionnante et constitue en elle même une première étape. Les débuts sont hésitants mais on est rapidement envahi par la puissance du rituel et du symbolisme. Il suffit de se laisser porter par ce que l’on ressent. Il n’y a rien de plus simple que le symbolisme.
J’y ai rencontré des gens ordinaires, des gens comme moi de toutes origines, religions ou couleur de peau, et pas des élites intellectuels ou financières. J’y suis rentré jeune puisque j’avais 27 ans. Nous sommes désormais quelques uns à y être rentrer avant 40/50 ans et c’est une avancée. J’ai choisi une loge mixte et symbolique, la grande loge mixte de France (GLMF : http://www.glmf.fr/). Il existe en effet des loges uniquement masculine ou féminine et d’autres traitant plus de sujets de société que de symbolisme. Pour moi, la mixité était une évidence, je ne voyais pas au nom de quoi j’avancerais mieux loin des femmes et j’ai préféré commencer par un travail sur moi même avant d’appréhender avec méthode les sujets de société. »

digital marmelade : « Lorsque vous dîtes « le reste s’est enchainé rapidement » : c’est à dire ? Comment rentre ton dans la franc maçonnerie ? Il vous a fallu un an pour y rentrer ? Y a t il des critères pour y rentrer (vous parlez d’age par exemple…) ? »

Monsieur X : « Il doit y avoir un âge minimum de 25 ans je crois, il faudrait vérifier. Pour y rentrer, il y a quelques étapes à suivre. C’est l’inverse des sectes chez qui il est facile de rentrer mais difficile de sortir, en franc-maçonnerie, il est relativement difficile d’y rentrer, mais un simple mot suffit à en sortir. La parrainage est un mode de choix pour faire le premier pas, mais il est possible aussi d’envoyer une simple lettre de motivation au siège de l’obédience de votre choix. Une fois cette lettre envoyée, il se passera trois mois avant qu’un maître de la loge ne vous contacte pour vous rencontrer et discuter avec vous de vos motivations. Il y a ensuite un vote en loge sur la suite à donner à votre demande. Ce vote étant favorable, vous rencontrerez trois enquêteurs maître maçon qui retraceront avec vous vos idées, vos valeurs, vos motivations, vos croyances, votre vie sociale et professionnelle. Le but est juste de mieux vous connaître et en aucun cas de juger de quoi que se soit. Vous serez par la suite convoqué lors d’une tenue pour une ultime épreuve appelé le passage sous le bandeau qui consiste en une série de questions diverses et variées auxquelles le postulant répond avec sincérité. C’est un grand moment je vous l’assure. Et enfin, l’initiation. Je ne vous en direz rien, c’est une soirée magique dont tous les maçons gardent un souvenir mémorable. »

digital marmelade : « Vous parlez de « tenue », de quoi s’agit-il ? »

Monsieur X : « Une tenue est une réunion de maçons. C’est là ou se met en place le rituel, une sorte de mise en place d’un temple de la raison dans lequel on peut travailler sereinement. Les maçons y revêtent leur tablier, symbole du travail et de la nécessité de se protéger des éclats. On y retrouve les symboles bien connus : équerre, compas, règle, pavé mosaïque, … Une tenue se déroule suivant un ordre du jour préétabli comprenant généralement une planche (une sorte d’exposé fait en loge) dont les thèmes sont aussi variés que : « La symbolique des lettres de l’alphabet », « Le vin et le fromage », « Le silence », « La géométrie », … Et certains orateurs valent vraiment le détour. Chaque maçon doit présenter une ou deux planches par an au début sur des sujets caractéristique de son grade (apprenti ou compagnon). Les maîtres proposent des travaux sur les sujets de leur choix.
La tenue comprend le travail en loge mais aussi les agapes. C’est le repas traditionnel qui suit le travail. Il est souvent très animé et très arrosé. Il permet de renforcer les liens fraternels et de continuer les débats en salle humide comme on dit. »

digital marmelade : « Vous avez tout de même un vocabulaire bien à vous… Une loge symbolique ? Qu’entendez vous ici par symbolisme et travail sur vous même ? »

Monsieur X : « Le symbolisme est une forme de philosophie (dans le sens de la recherche de sens et de réfléchir sur tout ce que fait l’Homme) qui a l’inverse de la philosophie qu’on nous enseigne au lycée et en faculté, ne nécessite aucune connaissance ou lecture préalable. Le symbolisme n’impose pas la possession d’une immense culture pour être accessible. Il se base sur les symboles et leurs différentes interprétations qui nous permettent de comprendre que chaque idée n’existe que par et avec son contraire, et qu’il y a donc toujours besoin de réunir ses opposés pour trouver le chemin du milieu. Il nous ouvre le chemin de la pensée ternaire. Les loges symboliques se consacrent sur le travail sur notre pensée, sur notre « moi » intérieur. Je cherche à comprendre pourquoi je pense cela, pourquoi je crois en cette idée. J’apprends à gérer mes émotions et mes idées reçues pour qu’elles ne nuisent pas à ma compréhension du monde extérieur, en dans mon cas, il y a du travail. Encore une fois, en maçonnerie, personne n’a de réponse. L’essentiel est de réfléchir, de mettre en doute, de critiquer, et de reconstruire. Personne ne vous dira qu’il a la réponse à quelque chose, mais tout le monde vous dira que votre réponse est une bonne réponse et qu’elle apporte quelque chose, qu’elle est une pierre à l’édifice. »

digital marmelade : « Et si j’ai bien compris, il existe des loges sur des sujets de société, au sens large ou concentré sur un sujet en particulier ? »

Monsieur X : « D’autres loges travaillent exclusivement sur des sujets dit de société. Par exemple : L’euthanasie, la violence, la condition des femmes, … Chaque année, toutes les loges présentent des travaux. Nous avons travaillé sur la tolérance cette année. Les obédiences qui traitent les grands sujets de société envoient régulièrement les synthèses aux députés et aux ministres. Souvenez vous que la loi sur l’IVG ou sur la création des syndicats sont des projets maçonniques construit en loge et dont les maçons ont grandement facilité la mise en place.
Lors du choix de l’obédience dans laquelle vous souhaitez entrer, il suffit de choisir suivant que vous ayez envie de travailler entre hommes, entre femmes, ou dans la mixité, et suivant que vous souhaitiez travailler des sujets philosophiques et sur vous même ou bien vous concentrer sur les grands sujets de société. Je pense cependant qu’il faut commencer par le premier pour ensuite être efficace dans le deuxième. »

digital marmelade : « Et c’est quoi la franc maçonnerie, telle que vous la vivez ? »

Monsieur X : « Je vis cet engagement comme une façon de voir la vie, de se découvrir soi même et d’être avec les autres. La franc maçonnerie ne se base sur aucune vérité révélée, elle ne soutient aucun dogme et n’impose aucune croyance. J’aime les valeurs de base qu’elle véhicule : la laïcité, la tolérance, le respect des autres et de soi même, la fraternité, les valeurs morales, et la glorification du travail. Il est vrai que je la vis aussi comme une remarquable occasion de passer des soirées exceptionnelles sur beaucoup de plans, avec des personnes intéressantes autour de thèmes très variés. J’apprends à chaque tenue et à chaque rencontre. L’objectif de la méthode maçonnique est de réussir à se forger ses propres idées de façon progressive et méthodique en écoutant les autres et sans se laisser influencer par la pensée commune (télévision, religion, dogme ou autre vérité non vérifié). Cela ne peut qu’être productif et utile. Développer un sens critique aiguisé en même temps que des qualités d’écoute réelles, un bel objectif qu’il me faudra encore de nombreuses années de maçonnerie pour atteindre. »

digital marmelade : « Sans se laisser influencer par la pensée commune… La franc maçonnerie n’est t elle pas elle même une « pensée commune » ? »

Monsieur X : « Je ne pense pas au contraire. Encore une fois, en maçonnerie, personne ne vous apprendra rien, et tout le monde vous dira toujours que vous avez en partie raison. Il vous faudra vivre le rituel et découvrir par vous même les choses. Personne ne vous dira ce qu’il faut faire ou penser, ce sera à vous de le décider. Quoi que vous fassiez, cela sera toujours utile et vécu comme positif par le groupe. Seules les valeurs et l’envie de travailler sont communes.Chacun est libre de croire ou de ne pas croire aux vérités de son choix, du moment qu’il comprend que l’autre ne pense pas forcément pareil. »

digital marmelade : « Vous dites qu’il vous faudra de nombreuses années pour développer votre sens critique avec des qualités d’écoute réelles. Oui, mais ne peut-on s’appliquer cette doctrine sans avoir à passer par la franc maçonnerie ? »

Monsieur X : « Il est toujours possible de développer cela tout seul. Certains en sont capables. Ils sont rares.
Vous savez vous même, Pierre, que rien n’est plus sérieux que le jeu. Le rituel maçonnique est une sorte de jeu qu’il faut vivre et ressentir pour en comprendre l’essence. C’est à travers lui qu’on arrive à aller plus loin. Il agit au plus profond de nous et transcende nos sentiments pour intégrer ces notions naturellement. Il est une aide au développement personnel et en même temps un vrai plaisir à vivre. Le rituel, c’est le vrai secret maçonnique, impossible à décrire ou à retranscrire. Il faut le vivre pour le comprendre. »

digital marmelade : « Un grand merci Monsieur X (NDLR : c’est toujours kiffant d’interviewer un mec en l’appelant Monsieur X) »

Monsieur X : « Merci à vous. Je reste à disposition pour les questions en commentaires, au cas où… »

A.S.:

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  • Etre maçon depuis quatre ans et parler comme un vieux maître, A peine sorti de sa période d'apprentissage et déjà jouer au professeur. Fanfaron.