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« EGREGORE » OU LE GLISSEMENT DE SENS D’UN MOT

Voici  une nouvelle réflexion de la part de la GLIF (Grande Loge Indépendante de France) sur

« Égrégore » ou le glissement de sens d’un mot.

Notre Très Cher Frère Gérard Lefèvre fait le point sur un mot utilisé souvent en Maçonnerie. Il a écrit :

Toute réunion d’individus animés par un projet ou un objectif communs produit un ensemble d’énergies, une entité psychique appelée souvent en Franc-maçonnerie « égrégore », qui témoigne du fait que nos pensées et nos croyances ont une incidence directe sur le monde.

Alors, qu’en est-il en réalité ?… L’égrégore semble un mot un peu galvaudé que l’on murmure souvent à voix basse, qui veut traduire des minutes d’émotion, de complicité …

Egrégore vient du grec égrêgoros, pluriel égrêgoroï, qui signifie simplement veilleur, et le verbe égrêgorein se traduit logiquement par veiller, être éveillé. Mais qui veille quoi ?

Or dans presque toutes les cultures connues, en effet, on évoque la présence d’un monde plus ou moins vaste d’êtres bons ou mauvais peuplant cet espace intermédiaire qui présente en même temps la dimension du Réel concret et celle de l’au-delà problématique…

Voyons l’origine du mot « égrégore ».

Le terme égrêgoros-veilleur désignerait dans les versions grecques des écrits vétéro- et néotestamentaires (ensemble des textes sacrés relatant cette alliance et formés de l’Ancien Testament, livre saint des Hébreux, du Nouveau Testament, livre saint des Chrétiens, ces deux textes constituant la Bible ou l’Écriture Sainte) et néotestamentaires des anges, « ceux qui ne dorment pas et qui gardent le trône de sa gloire » ou ceux « qui sont toujours en éveil au service de Dieu » (Livre d’Hénoch, XXXIX, 9).

La forme spéciale de ce mot vient donc du livre d’Hénoch, écrit pseudépigraphique de l’Ancien Testament attribué à Hénoch, arrière-grand-père de Noé. Sa composition est estimée au IIIe siècle av. J.-C. 

L’aventure nous conduit à un certain Hénoch, auteur d’un ouvrage apocalyptique attribué par les exégètes à la période intertestamentaire. Mais attention : il y a plusieurs Hénoch dans la Bible.

Celui dont nous parlons apparaît dans la Bible, Livre de la Genèse 5, 18-24 : à l’âge de 162 ans, Yéred eut un fils, Hénoch.

Après la naissance d’Hénoch, Yéred vécut encore 800 ans. Il eut d’autres fils et des filles. Après avoir vécu en tout 962 ans, il mourut. 

A l’âge de 65 ans, Hénoch eut un fils, Mathusalem. Après la naissance de Mathusalem, Hénoch vécut 300 ans, en communion avec Dieu. Il eut d’autres fils et des filles. Sa vie dura 365 ans. Il vécut en communion avec Dieu, puis il disparut, car Dieu l’enleva auprès de lui.

Pour en revenir aux égrégores :

Ce serait en réalité, suivant le Livre d’Hénoch (chapitres VI et VII), des âmes hybrides et monstrueuses formées du commerce des E(g)grégores avec les prostituées de l’ancien monde. Dans le livre d’Hénoch il est précisé que le Mont Hermon est l’endroit où la classe des anges déchus sont descendus sur terre. Les égrégores « veillèrent sur le mont Hermon avant de les posséder » ; d’où l’idée permanente de veille attachée aux égrégores. Sur la montagne, ils firent serment de prendre une femme des filles à la procréation : « chacun des anges qui, selon le Livre d’Hénoch, s’unirent aux filles de Seth» (Seth (en hébreu שֵׁת) est un personnage de la Genèse, premier livre de la Bible. Il est le troisième enfant d’Adam et Ève, conçu après le meurtre d’Abel par Caïn. C’est un ancêtre de Noé (selon la Bible, il vécut 912 ans.) et qui. Ce serment semble être rappelé par une inscription sur les ruines d’un ancien temple au sommet de l’Hermon, a déclaré Qasr Antar, documenté par Sir Charles Warren en 1869.

La version originale, en araméen, du Livre d’Hénoch, était considérée comme perdue jusqu’à ce qu’on en trouve des parties à Qumran en 1947 parmi les manuscrits de la Mer Morte. Il sera traduit en grec, latin, slavon (le slavon est la langue liturgique des slaves orthodoxes, au Moyen Âge, appelée aussi vieux slave) et en éthiopien. 

Écarté par les Juifs des Livres canoniques de la Bible et officiellement de ceux du Nouveau Testament vers 364 lors du concile de Laodicée (canon 60), le Livre d’Hénoch est considéré depuis comme apocryphe par les autres Églises chrétiennes. Mais il fait partie du canon de l’Ancien Testament de l’Église éthiopienne orthodoxe, et c’est l’Écossais James Bruce[1] qui en apporta trois exemplaires d’Éthiopie en Grande-Bretagne, en 1773, et à ce jour, la version éthiopienne est la plus complète.

Au-delà du récit apocalyptique intertestamentaire.

S’il fallait maintenant évoquer l’aspect prométhéen du récit apocryphe, je constaterais que ces « anges qui veillèrent sur le Mont Hermon » donnèrent, peut-être plus que le feu, cadeau volé aux dieux fait aux hommes par Prométhée, le héros de la mythologie grecque, mais leur semence divine pour engendrer une race de seigneurs que va engloutir le déluge.

Les véritables égrégores, c’est-à-dire les veilleurs de nuit, auxquels nous aimons à croire, ce sont les astres du ciel avec leurs yeux toujours étincelants… Nous aimons à penser aussi que chaque peuple a son ange protecteur ou son génie … Tout cela est, possible quoique douteux, et peut servir aux hypothèses de l’astrologie ou aux fictions de l’épopée … (Mahomet)

Et chez les poètes …

Max Jacob.

« Les égrégores sont des êtres du ciel ou d’ailleurs, plus matériel que les gestes des rêves et plus immatériels que les protozoaires » (Les trois Égrégores dans Poèmes en vers.

Charles Baudelaire.

Expert s’il en est en « Fleurs du mal », il écrivait que « la plus belle astuce du Diable est de nous persuader qu’il n’existe pas ». Évidemment, en transposant cette phrase célèbre, on peut écrire que les égrégores diviseurs, souvent, usent de la même malignité que Satan, se font oublier et veulent nous persuader qu’ils n’existent pas, en effet ce terne est inconnu de nos rituels (Français)

Une filiation entre la leçon apocryphe et la Maçonnerie ?

Laissons la parole, au-delà de la polémique et de la controverse, à Fermín Vale Amesti, auteur du Retour d’Hénoch[2]. Il proclame la fonction spirituelle de la Franc-maçonnerie, qui n’est pas un club, un parti politique, une religion ou une secte mais une école initiatique que les Anciens nommaient école des Mystères Mineurs, mais revenons à ce monsieur Hénoch.

Hénoch le maître de Justice et révélateur de la Gnose ; Le langage et les écoles des Mystères. C’est ce qu’est la Maçonnerie : le langage du cœur et le symbolisme — le symbolisme maçonnique, le symbolisme du Temple, l’imagination créatrice, la mort initiatique, les cycles cosmiques, la régénération de la Maçonnerie elle-même.

Autant de sujets réunis sous un thème central unique : offrir au Thésée moderne le fil d’Ariane lui permettant de se guider dans le labyrinthe des innombrables formes sous lesquelles se cache la Tradition unique et de retrouver la Parole Perdue qui fit jaillir la Lumière des Ténèbres et rétablit l’Ordre sur le Chaos.

Hénoch le retour ? L’on pourrait aussi nommer « le retour d’Elie ». Et lui, Jean le Baptiste, si vous voulez m’en croire, Hénoch est cet Elie qui doit revenir. « Que celui qui a des oreilles entende ! » (Mt 11, 14-15). De même larésurrection d’Hiram ou d’Osiris désigne le processus de revivification de l’évolution spirituelle de l’humanité entrant dans un nouveau cycle : l’ère du Verseau. Ce « retour » est l’effusion ou le ferment qui va favoriser la renaissance de la véritable Gnose et la restauration de la Tradition Initiatique authentique, permettant ainsi aux « Fils de la Lumière » d’accomplir leur mission qui est « de répandre la Lumière » et de « rassembler ce qui est épars ».

Pour l’occultiste Robert Ambelain (1907-1997), l’égrégore est décrit dans sa Kabbale Pratique comme « une force engendrée par un puissant courant spirituel et alimentée ensuite à intervalles réguliers, selon un rythme en harmonie avec la Vie universelle du Cosmos, ou à une réunion d’entités unies par un caractère commun. Dans l’invisible hors de la perception physique de l’homme, existent des êtres artificiels, engendrés par la dévotion, l’enthousiasme, le fanatisme, qu’on nomme des égrégores”.

C’est bien ce qui allait motiver la réaction de René Guénon (1886-1952) qui publiait en 1947 dans les “Études traditionnelles” un article intitulé “Influences spirituelles et égrégores”. Guénon voyait dans l’égrégore une occasion de confondre le psychique et le spirituel. Il rejette d’ailleurs le mot comme une “fantaisie’ de l’occultisme et au passage exécute la soi-disant étymologie latine « ex-gregis », sans nier pour autant l’existence des entités collectives auquel il tient à assigner ce qu’il considère être leur vraie place : « Ce serait une erreur de considérer comme un état supra-individuel celui qui résulterait de l’identification avec une entité psychique collective quelle qu’elle soit, aussi bien d’ailleurs qu’avec toute autre entité psychique (…). »

L’égrégore aurait sans doute irrité Freud (1856-1939), qui critique l’’expression d’une « âme de la foule » dans « L’analyse du moi et la psychologie des foules », et affirme que l’inconscient est individuel, et que la formation des foules pouvait s’expliquer par la psychanalyse, sans avoir à distinguer celle-ci d’une psychologie collective.

Par la Chaine d’union, les Maçons, réunis sous la voûte étoilée, implorent un égrégore positif de l’Amour fraternel et se soudent dans une allégorie telle que celle définie par Krishnamurti, dans une conférence à Bombay le 21 février 1965 :

« Sans amour, vous aurez beau faire – courir après tous les dieux de la terre, prendre part à toutes les activités sociales, tenter de remédier à la pauvreté, entrer en politique, écrire des livres, écrire des poèmes – vous ne serez qu’un être mort. Sans amour, vos problèmes iront croissant et se multipliant à l’infini. Mais avec l’amour, quoi que vous fassiez, il n’y a plus de risque, il n’y a plus de conflit. L’amour, alors, est l’essence de la Vertu. »

L’égrégore est peut-être l’expression la plus aboutie de la fraternité, celle qui ne se décrit pas avec des mots. A chacun d’écouter ce que provoque en lui l’irruption de cette remarquable intelligence collective, de cette énergie du cœur mise en commun. C’est dans ces moments, peut-être, que nous pouvons retrouver la Parole Perdue.

Nota bene :

–  L’enseignement d’Hénoch et de celui de Jésus : les théologiens pensaient que le livre d’Hénoch avait été écrit de 100 à 300 ans après J.C., comme beaucoup de ses textes ressemblent à l’enseignement qu’avait laissé jésus.

Mais les découvertes des manuscrits de la Mer Morte, également appelés Manuscrits de Qumran, sont venus remettre en cause ces affirmations.

Les découvertes de la cave 4 ont permis d’établir scientifiquement que les textes d’Hénoch sont antérieurs d’au moins 200 ans à la naissance du Christ.

Découverte qui bouleversa les chercheurs car cela voulait dire qu’au lieu d’être un livre inspiré par le Christ, c’était le livre qui avait inspiré le Christ.

Il y a un point commun entre le livre d’Hénoch et le rouleau de Thot :

« Les deux promettent l’immortalité à celui qui les lit ! »

[1] Diplomate, explorateur et géographe écossais, né le 14 décembre 1730 ; mort le 27 avril 1794.

 [2] Edition originale en espagnol castillan. Naissance : 25-09-1923. Mort : 12-08-1999.GLIF 2022

A.S.: