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DÉCLARATION DE SILENCE – Le silence est le maître du poème

Le silence est le maître du poème.

Il est celui qui rassemble et que partagent tous les mots.

Le silence est avant et après mais aussi pendant les mots.
Du silence viennent et au silence vont tous les mots.
Mais lui-même est ineffable. Indicible par définition.

Il ne peut qu’être vécu. 
Mais vécu par qui ? 
Devant le silence, devant l’insondable, qui sommes-nous ? 
Pouvons-nous croire encore n’être que cette petite personne réductible à un nom et à une forme.
Au fond, ne sommes nous pas nous-même ce silence ?
Ou bien plutôt est-ce en lui que se vit tout ce qui peut être vécu ?
Tous les discours apparaissent et disparaissent en lui.
Et il demeure, inaffecté.
Il est l’abîme en nous et hors de nous.
Il est l’oxygène de la parole. L’appel, la semence et le vide. 
La parole vaine voudrait l’ensevelir, le masquer, l’étouffer.
Le poème, lui, fait rayonner le silence. 
C’est un rayon de silence dans la pénombre des bavardages.
Et l’on voit soudain briller dans sa lumière la moindre des particules…
Le silence est clairvoyant. I
l faut lui laisser cela. Le laisser faire.
Il est le père des mots et sait, d’instinct, choisir ceux qu’il faut.
Quitte à jouer de leur chair pour ouvrir en nous une autre oreille.
Tout cela est bien mystérieux et donc bien réel.
Le silence est le royaume. 


Il est l’alliance. 
La relation.
Le silence audible est le tissu des sons.
Le silence inaudible est le tissu des vies.
Le silence audible pointe vers le silence inaudible que nous sommes.
Le silence est le rien sans lequel rien ne serait.
Le silence est un trou au centre, au cœur de toute chose.
Il troue chaque mot. Chaque mot est perforé de silence.
Par ce tube transparent, son sens rayonne.
Chaque mot porte sa marque car aucun mot n’échappe au silence.
Il est le lien secret qui relie la multitude de l’univers.
Est-il un mot qui dérogerait à la règle commune ?
Un tel mot serait forcément imprononçable parce qu’impensable…
Le poème est une tentative désespérée. 
Ce désespoir fonde son espérance.
L’invente à chaque fois par un renversement paradoxal.
Parce que le silence est aussi inépuisable. 
Rien ne l’altère mais rien ne l’épuise.
Rien ne le désaltère. 
Si ce n’est peut-être le chant d’un oiseau ou parfois le vrai poème.
Sitôt ouvert, il abonde en tout et bondit sur la moindre paupière dont il orchestre la vision.
Dans son silence, le poème voit l’ensemble.

Le poème donne à sentir le silence. 
La parole vaine fait tout pour le fuir, l’anéantir ou le recouvrir.
Au silence, le poème va comme un gant.
Une fois établis dans le silence, tous les mots se mettent à luire, luisant de l’eau d’une même source originelle, d’une fraîcheur d’aube toujours naissante.
Le silence est le ciel de tous les chants.
En lui, qui est en nous, explose chaque mot comme chaque chose. 
Il porte et soutient la parole dans son vol et son rapt d’azur.
Le silence ne peut se perdre parce qu’il ne peut s’acquérir.
Le silence est une place vide mais des millions de mots peuvent prendre place en lui. 
Des millions de paroles nous ont conduit jusqu’ici où se trouve toujours un même silence. 
Tapis dans les hautes herbes du poème, le silence ramassé comme un tigre, guette sa proie, attend son heure et soudain nous saute aux yeux.
Le silence du poème nous conduit au silence que nous sommes.
La parole vaine veut nous faire oublier cela.
Le poème nous le fait entendre dans son éboulement d’orage.
Et il n’y a rien à comprendre, …mais, en son éclair, nous pouvons voir que nous ne sommes rien d’autre que lui.

Quoiqu’on dise, quoiqu’on fasse, le silence aura toujours le dernier mot.

Jacques Goorma
Revue Alsacienne de Littérature, automne 2003

A.S.: