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CORTO MALTESE, LE FRANC-MARIN – HUGO PRATT, LE FRANC-MACON DANS L’ÂME

SUR FRANCE CULTURE, Maxime Marie nous présente :

A l’origine de Corto Maltese, le franc-marin

Une silhouette hollywoodienne et un tempérament anarchiste : Corto Maltese a pris les traits des hommes chers à son créateur, Hugo Pratt. À l’heure de sa réinterprétation par Bastien Vives dans la BD « Océan noir » (Casterman), nous nous penchons sur les mystères de son origine.

Derrière le marin le plus célèbre du 9e art se cache un cocktail improbable : constitué de deux stars hollywoodiennes, John Wayne et Burt Lancaster, de l’aventurier franc-maçon Casanova, et de l’oncle antifasciste de son créateur, Hugo Pratt. 

Un aventurier hollywoodien 

Corto Maltese n’est au départ qu’un personnage secondaire quand il apparaît en 1967 dans un mensuel italien. À cette époque, son dessinateur Hugo Pratt, est un fervent spectateur de cinéma d’aventure. Hugo Pratt le rappelait à la télévision française en 1981 : « C’est ma grand-mère qui m’emmenait tout le temps au cinéma. La première fois je crois que c’était Tarzan et moi je rentrais et j’essayais tout de suite de faire une BD, sur les cahiers de l’école… »

Certaines scènes de cinéma inspirent directement le dessinateur, comme la légendaire entrée en scène de Corto : voguant attaché en croix sur un radeau de fortune. Elle est inspirée d’une scène du Réveil de la Sorcière Rouge, réalisé par Edward Ludwig en 1948. John Wayne y incarne un capitaine de navire marchand s’aventurant dans les Mers du Sud pour retrouver le trésor de la Sorcière Rouge. 

Mais le principal modèle physique de Corto est Burt Lancaster dans le film Le Roi des îles (1953). Avec son uniforme de marin anglais, la ressemblance est frappante. Le nom du héros de Pratt provient également d’un film américain Le Faucon maltais, réalisé en 1941 par John Huston. Son prénom, “Corto”, signifie “rapide”, en espagnol. 

Un anarchiste antifasciste

À ce personnage de BD au style hollywoodien, Hugo Pratt va insuffler une profondeur qui résonne avec les désirs d’émancipation de son époque. Hugo Pratt revenait en 1985 sur la genèse de son personnage : “Il est né à un moment particulier, il est né en 1967, avant la grande contestation juvénile de 1968, tout le monde avait la nécessité d’une recherche de la liberté, de contester la culture officielle, d’avoir des changements. Corto Maltese avait quelque chose de libertaire en lui, qui a fait rêver les gens, tout était dans l’air à ce moment là, l’expérience m’a poussé à faire un personnage comme Corto Maltese, et j’ai choisi la mer, et un bateau. » Corto Maltese c’est aujourd’hui plus de 2 millions d’exemplaires vendus en France, avec des traductions en 10 langues. Le marin vénitien est une vraie star de la bande dessinée et une ode à la liberté et à l’aventure. Hugo Pratt, revenait sur les racines idéologiques de ce succès en 1990 : “C’est un libertaire. Le choix politique d’un homme devrait être l’anarchie, mais c’est une parole qui fait peur car il veut pas de l’autorité, car il pense pouvoir gérer et pense ‘ma liberté termine là où commence celle des autres’. Ça c’est l’anarchiste, le vrai”. 

Pourtant, l’histoire familiale d’Hugo Pratt est bien éloignée de la mouvance anarchiste. Fils d’un soldat fasciste, Pratt rejoint la police coloniale italienne à seulement 13 ans faisant de lui, le “plus jeune soldat de Mussolini”… avant une rencontre avec son oncle, qui va tout changer. Hugo Pratt : “Il y avait un oncle qui était le contestataire de la famille, il est parti marin, il revenait de longs voyages et il était l’antifasciste de la famille. Il m’a fait beaucoup réfléchir quand j’étais enfant. C’était l’oncle le plus mystérieux, le plus magique. » Pratt précisait son lien avec son personnage en 1990 sur France Culture : “J’ai jamais cohabité avec Corto, chacun de nous a sa propre intimité. Quelquefois on se retrouve et on fait quelque chose ensemble, c’est un type formidable, mais c’est pas mon fils, c’est mon oncle. Moi je raconte les histoires d’un oncle.” Dès 1942 et la mort de son père, Hugo Pratt rejette l’idéologie fasciste et rejoint les forces alliées jusqu’à la fin de la guerre. 

Un franc-maçon dans l’âme 

Quelques années plus tard, Hugo Pratt se rapproche de l’un des ennemis historiques du fascisme italien, la franc-maçonnerie, jusqu’à rejoindre la Grande Loge d’Italie dans les années 1970. Il restera un franc-maçon actif tout au long de sa vie. Une appartenance qui transparaît dans le personnage de Corto Maltese, et dans ses aventures, truffées de références maçonniques. 

Pierre Mollier est historien, spécialiste de la franc-maçonnerie, commissaire en 2012 d’une exposition au musée de la franc-maçonnerie consacrée à Hugo Pratt : « Corto n’est pas maçon mais il explique qu’il est franc-marin, et il a vis-à-vis de la franc-maçonnerie cette attitude qu’il a vis-à-vis de beaucoup d’institutions, c’est qu’on sent qu’il connait, qu’il participe de coeur, mais c’est un solitaire. Mais dans La Fable de Venise, il paraît ‘très pro-maçon’ et partageant les valeurs maçonniques. L’idée de franc-marin, c’est cet universalisme, derrière une activité professionnelle, maçon ou marin, il y a une spiritualité, une philosophie et en cela d’ailleurs il prolonge un peu un personnage maçonnique assez classique qui vient du XVIIIe siècle : le noble voyageur, le cosmopolite, qui va de pays en pays et dont l’exemple est Casanova, auquel Pratt s’est, bien sûr, aussi beaucoup intéressé. »

Jusqu’à sa mort en 1995, Hugo Pratt n’a cessé de faire naviguer son héros au gré des aventures. Aujourd’hui âgé de plus de 50 ans, Corto Maltese est toujours considéré comme un personnage moderne en raison du combat qu’il incarne : le refus d’une hiérarchisation des cultures, une certaine idée de la liberté. Jusqu’à devenir un élément de la pop-culture, réinvesti ironiquement par des marques pour vendre du parfum comme chez Dior, mais aussi par des dessinateurs contemporains, comme Bastien Vives

A.S.: