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CONTE : LES 3 SOURDS…

LES TROIS SOURDS…

Il y avait une femme qui était sourde et qui vivait dans un tout petit village. Elle perdit son mari et se retrouva seule avec sa petite fille, qui n’était encore qu’un tout petit bébé. Elle n’avait pour toute richesse que quelques vaches, quelques moutons et quelques chèvre. N’ayant ni servante, ni parents, elle prenait sa fille avec elle en la portant sur son dos lorsqu’elle allait faire paître son troupeau.

Un jour, une de ses chevrettes tomba dans un fossé et se cassa la patte, qui, malgré les soins de la femme, ne s’était pas remise tout à fait comme il fallait : elle resta tordue et la chevrette boitait.
A quelques temps de là, un jour alors qu’il faisait chaud, la femme avait emmené son petit troupeau sur une prairie en pente au bord d’un ruisseau. Elle posa sa fille sous l’ombre d’un arbre, s’allongea dans l’herbe et s’endormit. Quand elle s’éveilla, le troupeau avait disparu.

Elle reprit sa fille sur le dos et remonta la pente du plus vite qu’elle put. Arrivée sur le chemin, elle se mit à chercher du regard mais elle ne vit rien.

Elle aperçu alors un homme qui était en train de labourer son champ. Elle se précipita vers lui et lui dit, tout essoufflée :
Mon troupeau s’est échappé, est-ce que tu l’as vu passé ? Dis le moi ! Si je le retrouve grâce à toi, je t’offrirai ma petite chevrette qui a eu la patte cassée, tu en as ma parole !

Or, cet homme était sourd lui aussi, peut-être encore plus sourd qu’elle. Il crut comprendre que cette femme, lui faisant de grands gestes, lui demandait de quel côté il avait commencé à labourer ce matin-là. Il lui montra donc l’endroit où il s’était mis au travail.

La femme, croyant qu’il répondait à sa question, s’empressa de partir dans cette direction. Or, tout à fait par hasard, c’était bien là que se trouvait le troupeau. La femme retrouva ses vaches, ses chèvres et ses moutons en train de brouter paisiblement. Elle les rassembla et leur fit faire demi-tour pour rentrer chez elle.
Comme elle passait près du champ ou le laboureur s’était remis au travail, elle alla vers lui, toute joyeuse, en tenant dans ses bras la chevrette et lui dit :
Grâce à toi, j’ai retrouvé mon troupeau. Je suis pauvre mais je n’ai qu’une parole : tiens, prends-la !

Et elle lui tendit la petite chèvre boiteuse. L’homme, qui n’avait rien entendu de ce qu’elle lui avait dit, mais voyant la chevrette qu’elle lui tendait, avec sa patte tordue, répondit :
Tu crois donc que c’est moi qui lui ai cassé la patte ? Et où est-ce que j’aurais pu faire ça ? Et quand ? Je ne l’ai jamais vu ta chèvre, moi !

Elle insistait pour lui offrir, tandis que lui se mettait de plus en plus en colère.
Un passant qui arrivait sur le chemin, les vit gesticuler et les entendait crier comme deux sourds qu’ils étaient. Il se demanda même si le laboureur n’allait pas battre la femme, tellement il avait l’air hors de lui. Il tenta de leur parler, mais ne comprenant rien au litige en question comme les deux parlaient en même temps, il les emmena chez un juge.

Le juge était un vieil homme assis dans un fauteuil. Il fit d’abord signe à la femme de prendre la parole. La femme parla au juge de la façon suivante.
Ô juge, que Egzaber vous montre la vérité. Mon troupeau s’était échappé et avait disparu. En le cherchant j’ai rencontré cet homme qui m’a montré la direction qu’il avait prise. Je lui ai dit que si je retrouvais mon bétail grâce à lui, je lui donnerais ma petite chèvre à la patte cassée. Quand je l’ai retrouvé, j’ai tenu parole, mais il a refusé mon cadeau en me disant qu’il voulait une belle chèvre et pas celle-ci. Pourtant, j’y tiens beaucoup et je suis pauvre. Je lui ai répondu que c’était cette chèvre que je lui avait promise, mais il a continué à en exiger une autre.
Voilà comment les choses se sont passées, termina-t-elle d’une voix forte. Rendez-moi justice !

Tandis qu’elle terminait sur histoire, sa fille qui était toujours sur son dos, s’était mise à pleurer. Quand elle eut fini de parler, elle dénoua le tissu dans lequel l’enfant était enveloppée et se mit à lui donner le sein.
Ce qu’elle ne savait pas, c’est que le juge était tout aussi sourd qu’elle et le paysan.
Le juge hocha la tête puis fit signe à ce dernier de prendre la parole à son tour.
Monsieur le juge, dit l’homme, cette femme est venue me trouver dans mon champ, et m’a demandé à quel endroit j’avais commencé à labourer aujourd’hui. Je le lui ai montré. Elle est revenue ensuite avec son troupeau. Elle tenait dans ses bras une chevrette à la patte cassée et l’a tendue vers moi en m’accusant de l’avoir frappée et de lui avait cassé la patte. Je lui ai répondu que je n’y étais pour rien, que je n’avais aucune raison de faire une chose pareille. Elle continuait pourtant à me montrer sa chevrette à la patte cassée. Nous nous sommes disputés et nous voilà à ce tribunal.

Le juge avait écouté l’homme et la femme avec la même attention, c’est-à-dire qu’il n’avait rien entendu. Mais il avait vu que la femme portait un bébé qui pleurait. Il pensa donc que l’homme était le père de l’enfant, mais qu’il refusait de donner à sa mère de quoi le nourrir, et que là était le sujet de la dispute.

Le juge se leva alors, toussa deux, trois fois, se tourna vers l’homme et lui dit d’une voix forte :
Regarde comme cette enfant te ressemble ! Ses yeux, ses oreilles, son teint, tout montre que c’est ta fille ! Tu dois donc verser de l’argent à la mère pour qu’elle puisse élever convenablement votre enfant !

Et c’est ainsi que, sans rien comprendre, jugea le juge. Et l’homme dut verser de l’argent à la femme qui lui avait offert un cadeau pour un renseignement qu’elle croyait avoir eu.


 

A.S.: