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COMMENT J’AI PASSÉ 2 ANS À MÉDITER DANS UN TEMPLE JAPONAIS – UN FRANC-MAÇON RACONTE


Un moine français raconte ses deux années passées dans le temple bouddhiste Antai-ji, niché dans les montagnes de la préfecture de Hyogo, au Japon, où l’on éprouve sa foi dans la rigueur de la méditation. Les yeux fermés et les jambes croisées dans la pénombre.

Source : « Comment j’ai passé deux ans à méditer dans un temple japonais » – Site Les Echos

« Entre nuage et eau, Le quotidien d’un apprenti moine zen », Tozan. Editions des Equateurs, 238 pages, 20 euros.

C’est presque devenu une légende. Ou un conte d’avertissement. Lorsqu’ils arrivent au temple Antai-ji, au bout d’une petite route serpentant, au milieu des cèdres, dans les montagnes de la préfecture de Hyogo, tous les novices écoutent, autour d’une tasse de thé, l’histoire du Français devenu fou. Un long hiver des années 2000, alors que le temple vivait en autarcie, coupé du monde par les mois de neige, le jeune homme a craqué au milieu de l’une de ces longues séances de méditation qui définissent la pratique du bouddhisme zen japonais. La douleur atroce de l’immobilité, l’angoisse du silence, les affres de l’introspection ? On ne sait pas.

Soudain, il a bondi de son petit coussin, le « zafu », dans la salle commune couverte de tatamis, où les bonzes s’assoient, sans bruit ni mouvement, face aux parois, pendant des heures. Jusqu’à quinze par jour lors des « sesshin » (littéralement « se recueillir sur l’esprit ») de décembre. Il a couru vers la cuisine glaciale, s’est débarrassé précipitamment de tous ses vêtements avant de pousser la porte bloquée par la glace et de s’enfuir, en courant, complètement nu vers la forêt.

Les moines ont dû contacter les autorités, un peu plus bas dans la vallée pour organiser des recherches. Un hélicoptère a même été mobilisé depuis la ville voisine de Tottori, à 50 km de là. Le novice a été retrouvé et sauvé, mais le temple, qui vit essentiellement de ses propres travaux agricoles, de quelques dons de la communauté et de trois séances annuelles de mendicité dans les rues de Kyoto, a dû ensuite rembourser tous les frais de secours et de soin. L’évadé n’est jamais revenu.

Une école particulière du bouddhisme

A Antai-ji, l’anecdote sert à mettre en garde contre l’épreuve mentale et physique que représente cette vie « zen ». Particulièrement l’hiver. « Une hibernation rustique […] une période où les personnalités se mettent à nu », écrit justement Clément Sans, un Français de 30 ans qui vient de passer, lui, deux années dans le temple japonais et publie, aux éditions des Equateurs, « Entre nuage et eau. Le quotidien d’un apprenti moine zen ». Sous son nom de moine « Tozan », il y raconte son parcours, sa démarche et surtout la rigueur d’une vie de méditation à Antai-ji, où l’on éprouve sa foi à chaque instant. Les yeux fermés et les jambes croisées dans la pénombre.

Les Japonais ne sont pas tous zen. Ils sont même très peu à s’inscrire dans cette école très particulière du bouddhisme , elle-même composée de trois branches distinctes, le Soto, auquel appartient le temple Antai-ji, le Rinzai et l’Obaku. « La plupart des bouddhistes au Japon sont rattachés à une autre école, celle de la Terre pure, ou Jodo, et donc ils ne méditent pas », explique Tozan, rencontré dans un petit café de Kyoto. C’est une pratique plus simple basée sur l’unique récitation du nom du Bouddha Amida.

© Anne Pomel pour Les Echos Week-End

Par tradition et goût des coutumes, plus que par spiritualité, les Japonais cumulent et mélangent les pratiques religieuses au fil de leur vie. Ils iront au sanctuaire shinto dans les premiers jours du nouvel an afin d’y acheter des amulettes et piocher un « omikuji », un petit bout de papier leur servant d’horoscope bienveillant pour l’année qui s’ouvre. Leur mariage sera aussi célébré au sanctuaire ou, au sous-sol d’un grand hôtel, dans une fausse église catholique dont la théâtralité occidentale est devenue à la mode dans les années 1980.

Rites funéraires bouddhistes

En revanche, la nuit du Jour de l’an, on préférera se rendre au temple bouddhiste du quartier pour purifier son esprit, à minuit, lors de la cérémonie du Joya-no-Kane, au cours de laquelle les cloches du bâtiment retentiront 108 fois. Et lors d’un décès, les rites funéraires seront toujours administrés par un prêtre bouddhiste, venu du temple de famille, dont l’obédience exacte est rarement connue et dont la direction se passe traditionnellement de père en fils. « Au Japon, le bouddhisme, c’est donc surtout la question de savoir où on va enterrer les parents. Ce n’est pas la pratique de la méditation qui rassemble les bouddhistes au Japon ou dans le monde », rappelle Clément Sans.

Lui a découvert le zen au terme d’un long chemin de curiosité. Né dans une famille non religieuse, il lit beaucoup de philosophie au lycée, à Blois, et s’interroge. « J’avais un intérêt intellectuel pour les religions, une forme de quête, et j’ai commencé à explorer différentes voies », se souvient-il sans chercher à justifier ce questionnement. L’athée curieux cherchera forcément à identifier le trauma fondateur de son besoin de croire. Un père absent ? Ou autre chose ? Il sourit. « Si je donne une explication familiale ou psychologique, immédiatement cela rassure mes interlocuteurs. Comme si la foi en soi était inquiétante. » Il raconte simplement qu’il a ressenti assez tôt le besoin de s’intégrer dans une religion traditionnelle. « J’étais un électron libre du XXIe siècle urbain qui se retrouvait face à des sujets qu’il ne comprenait pas et qui voulait des interprétations au-delà de ses propres lectures. »

Coup de foudre religieux

Pendant son passage en hypokhâgne et khâgne, puis ses années d’études d’urbanisme et de philosophie à la Sorbonne, il passe un peu de temps dans la franc-maçonnerie, s’intéresse au soufisme et découvre aussi l’orthodoxie à Avignon, dans une église fréquentée par des Grecs. Beaucoup de belles rencontres, d’échanges mais aussi énormément de rituels. « J’étais intéressé mais pas touché. »

Le coup de foudre religieux se produit dans un dojo zen, rue de Tolbiac, à Paris. Une découverte qui s’inscrit dans de nombreuses lectures de Heidegger qui avait, lui-même, travaillé, en Allemagne, avec des philosophes de l’école de Kyoto – le grand courant de pensée du Japon au début du XXe siècle – et particulièrement avec Keiji Nishitani, un grand pratiquant zen qui a su créer un rapport critique entre le nihilisme occidental et ses convictions venues, en partie, de la tradition bouddhiste. « Je cultivais cet intérêt depuis longtemps et j’ai ensuite eu une adhésion de coeur pour la pratique du zen », souffle-t-il.

Méditer plus de dix heures

Puis c’est l’arrivée à Kyoto en 2018, l’un des centres de la pratique. Les premières « sesshin » dans les temples de la ville, des séances de méditation de plus d’une dizaine d’heures ponctuées de courtes promenades en silence. Pour faire respirer les muscles. Et l’entrée à Antai-ji à l’hiver 2020 pour progresser vers un éveil spirituel, difficile à définir, et une connaissance profonde de soi, impossible à approcher dans une vie active en société. « Dans le zen, rien ne vous est donné tout de suite, et tout se mature en permanence, prévient-il. L’enseignement de Bouddha doit être vérifié par une expérience. »

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Dans le temple, Clément retrouve une demi-douzaine de novices, japonais mais aussi étrangers, et l’abbesse Eko Nakamura. Pour un quotidien de méditation assise, d’études des textes religieux et de travaux physiques, toujours dans la méditation. Il y a certes de l’électricité, et même Internet, dans les vieux bâtiments de bois, mais les résidents, qui se lèvent peu après 3 heures du matin, doivent s’affairer pour assurer leur autosuffisance. Le potager, la rizière, le stock de bois pour l’hiver, le toit à refaire, les plantes sauvages récoltées dans la rivière. Une vie au rythme des saisons. « Dans la vie zen, nous aspirons à fusionner avec les tâches quotidiennes, nous les épousons et les suivons comme on suit un maître, oubliant toutes ces petites habitudes qui nous confineraient à la facilité du confort immédiat », écrit-il.

« La montagne du pêcher »

Dans son livre, il décrit avec passion le temps sacré de la cuisine et les repas préparés au feu de bois, où l’ego doit s’effacer. Le produit est à peine transformé, jamais mis en scène. Le service est à heure fixe. Le thé à une température optimale. Les baguettes orientées dans un sens précis. L’occasion d’un autre temps de méditation autour de la soupe de seri, des tempuras de taranome ou d’aubergines agedashi. Tout est consommé. Rien n’est jeté. En théorie, les pratiquants zen sont végétariens, mais les villageois leur apportent régulièrement du gibier chassé dans la forêt. Alors, on dépèce les sangliers et les chevreuils encore chauds. « Les préceptes sont caducs », sourit-il. Lors des grandes célébrations qui scandent l’année, comme celle de son ordination en septembre 2021, on peut même apercevoir des bouteilles de saké sur la table.

Ce jour-là, Clément est devenu Tozan, nom né de l’association des idéogrammes de deux maîtres zen qu’il admire et qui, réunis, signifient « la montagne du pêcher ». Le laïc est devenu moine et a reçu son « keza », son grand habit religieux. Redescendu depuis à Kyoto, en 2022, Tozan a remis un blouson, ses baskets mais pas ses cheveux. Mais son crâne reste, en revanche, parfaitement rasé.

Le jeune homme a retrouvé sa compagne japonaise. Ils se sont mariés, comme le font de nombreux moines zen. Rien ne l’interdit. Beaucoup ont même des familles. Et maintenant, il expérimente sa foi et sa pratique parmi les laïcs. La vie est son temple. « Le but d’un moine zen n’est pas de rester assis toute sa vie sur un coussin dans la forêt et de se lever pour aller manger des baies », résume-t-il. Ce n’est pas qu’un exercice austère et solitaire. « Le grand défi, c’est de réfléchir à la manière d’intégrer à chaque instant la question bouddhique et le zen dans cette vie moderne », insiste-t-il.

« Entre nuage et eau, Le quotidien d’un apprenti moine zen », Tozan. Editions des Equateurs, 238 pages, 20 euros.

A.S.: