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Alphonse Baudin : Médecin des pauvres et franc-maçon

Alphonse Baudin …. Je ne connaissais pas cet homme et c’est un article publié par « Le Monde » qui m’en appris un peu plus, voire même littéralement complètement sur ce héros oublié, médecin des pauvres, parlementaire, idéologue qui se « distingua » lors du coup d’État du 2 décembre 1851 et que la la 3ème République a honoré  en juillet 1889 en transférant ses cendres au Panthéon avec celles de Lazare Carnot et de Marceau.

Alphonse Baudin était franc-maçon…

Article paru à l’occasion de la sortie du livre : Mourir pour des idées -La vie posthume d’Alphonse Baudin, d’Alain Garrigou, Les Belles Lettres, « L’histoire de profil »

Source : http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/05/14/le-heros-oublie-de-la-republique_1350791_3260.html

Au coeur du cimetière de Montmartre, à Paris, le long d’un passage étroit situé à l’écart des allées principales, se dresse un monument à l’histoire étonnante. Il s’agit d’un imposant tombeau de pierre, d’environ 1,50 mètre de hauteur, sur lequel repose un gisant en bronze dont la posture évoque une mort violente. La tête penchée vers l’arrière, les cheveux en bataille et la bouche à demi ouverte, le défunt tient dans ses doigts frêles un recueil de lois qui semble sur le point de lui échapper. Sur la face du monument est gravée cette inscription : « A Alphonse Baudin, représentant du peuple, mort en défendant le droit et la loi, le 3 décembre 1851. »

De nos jours, la statue de Baudin n’attire pas les foules. Il suffit de passer deux heures dans le cimetière pour le constater. Ici, les promeneurs viennent pour Stendhal, Berlioz ou Truffaut, et surtout pour Dalida, la grande vedette du lieu. Baudin, lui, n’intéresse plus personne. Et l’on a peine à croire, devant son tombeau maculé de fientes de pigeons, que cet homme fut un jour « le plus populaire de France », comme l’affirmait, en 1868, le quotidien L’Espérance du peuple.

Médecin et franc-maçon

Né en 1811 à Nantua, dans l’Ain, Alphonse Baudin fait partie de ces personnalités qui ne doivent leur célébrité qu’aux circonstances de leur mort. Médecin et franc-maçon, il siège depuis deux ans sur les bancs de l’Assemblée législative quand Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, procède au coup d’Etat qui précipite la chute de la IIe République et prélude à l’avènement du Second Empire. En bon « démocrate socialiste » – c’est son étiquette – l’élu du peuple entre immédiatement en résistance. Le 3 décembre, il compte ainsi parmi la poignée de républicains qui, dès l’aube, rejoignent le faubourg Saint-Antoine dans l’espoir de rallier à leur cause les habitants des quartiers populaires de Paris. Sans prendre la mesure du risque : un peu après 8 heures, une colonne de soldats se poste devant les insurgés, des coups de feu sont tirés, et Baudin, debout sur une barricade, est mortellement touché à la tête. Auteur, entre autres, d’une remarquable Histoire sociale du suffrage universel en France (Seuil, 2002), Alain Garrigou s’est mis sur les traces de ce « mort héroïque » , qui devint, une fois passé de vie à trépas, une icône républicaine. Non pour en raconter l’existence, qui n’a en soi rien d’exceptionnel, mais pour retracer sa « vie posthume » qui, elle, est digne d’un vrai roman.

Cette « seconde vie », rappelle l’auteur, a commencé dès le matin du 3 décembre. Le corps de Baudin était encore chaud quand, dans chaque camp, l’on commença à se disputer sur la façon d’évoquer sa mort. Du côté de l’opposition, l’affaire était assez simple : comme l’écrivit Victor Schoelcher, qui était à ses côtés sur la barricade, Baudin était tombé en « martyr de la liberté ». Il fallait donc écrire un martyrologe. Victor Hugo, qui était arrivé au faubourg Saint-Antoine quelques minutes après le funeste coup de feu, s’en chargea : dans son récit du coup d’Etat, écrit durant son exil à Bruxelles en 1852 mais publié seulement en 1877 sous le titre Histoire d’un crime, il n’hésita pas à faire mourir son héros à 33 ans au lieu de 40 ans – une façon d’en faire un nouveau Christ.

Dans le camp adverse, le cadavre du député était en revanche beaucoup plus encombrant. Comme le montre Alain Garrigou, le pouvoir hésita sur la stratégie à suivre. Certains, par exemple, s’efforcèrent de flétrir le défunt en distillant dans sa biographie des éléments qui en faisaient un enragé. Dans une telle perspective, son élimination n’était plus un crime, mais une mesure de salut public. Reste que transformer une victime en coupable est toujours délicat. De sorte que l’historiographie officielle finit par opter pour une troisième solution : la relégation du malheureux dans les oubliettes de l’histoire.

Pour les républicains, une telle omerta était intolérable. Ils firent donc ce que leurs prédécesseurs avaient fait au début du XIXe La France des larmes, d’Emmanuel Fureix, Champ Vallon, 2009) : faute de pouvoir utiliser le bulletin de vote pour manifester leur opposition au régime, ils transposèrent leur lutte sur le terrain des symboles, et notamment sur la scène mémorielle. La sépulture de Baudin, comme auparavant celles de Sieyès ou de La Fayette, devint un espace politique, où la gauche venait compter ses troupes et la police montrer sa force. siècle (voir à ce sujet

« Menées anarchiques »

C’est en 1868 que les tensions furent les plus vives. Prenant à la lettre les promesses de Napoléon III en faveur d’une libéralisation de l’Empire, des dizaines de journaux républicains lancèrent cette année-là une souscription afin d’ériger un monument à la gloire du député mort lors du coup d’Etat. Ils furent poursuivis par des procureurs à la botte du pouvoir qui dénoncèrent leurs « menées anarchiques ». Des procès eurent lieu partout en France. Ce fut pour certains l’occasion de se faire un nom, comme le jeune Léon Gambetta, alors âgé de 30 ans, qui devint célèbre du jour au lendemain grâce à la charge qu’il prononça contre Napoléon III devant le tribunal correctionnel de la Seine.

Il fallut pourtant attendre 1872, deux ans après la chute de l’Empire, pour que le monument à la gloire de Baudin soit érigé. En 1889, à l’occasion du centenaire de la Révolution, son corps rejoignait le Panthéon. Ce « Martyr de la loi », comme l’avait baptisé Pierre Larousse dans son Grand Dictionnaire universel, était devenu consensuel.

Cette apothéose, toutefois, ressemblait plutôt à une seconde mort, comme l’explique Alain Garrigou dans de belles pages sur le difficile enracinement des « cultes civiques ». Célébré dans les manuels scolaires, Alphonse Baudin incarnait désormais une cause qui avait triomphé. Et qui, dès lors, ne faisait plus rêver. Autour de sa tombe, l’âge moyen des pèlerins ne cessa d’augmenter. Dans les années 1900, on y croisait encore quelques « vieilles barbes » pour qui le 2-Décembre réveillait des souvenirs douloureux d’exil et de baïonnettes. Avant que ne vienne, enfin, le temps où l’on n’y vit plus de barbes du tout.

A.S.: