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24 JUIN 1717 : NAISSANCE DE LA FRANC-MACONNERIE OU D’UN MYTHE ?

Le 24 juin 1717, à l’occasion de la Saint Jean, naît à Londres la « Grande Loge de Londres et de Westminster ». C’est l’acte fondateur de la franc-maçonnerie moderne. Il se produit dans une taverne au nom pittoresque : L’oie et le gril.

NAISSANCE DE LA FRANC-MACONNERIE OU D’UN MYTHE ?

Pour répondre à cette question, nous vous invitons à lire l’excellent article de Roger Dachez publié sur le site de la Bibliothèque Nationale de France : Mythes et histoire de la franc-maçonnerie, sur les origines symboliques à un événement fondateur

Tout aurait commencé au Moyen Âge, en Grande-Bretagne, par ce qu’on appelle la « maçonnerie opérative » : le regroupement des maçons de métier. C’est de là que serait née la franc-maçonnerie « spéculative », moderne, détachée de toute préoccupation professionnelle, telle que nous la connaissons.
À l’origine, c’est-à-dire durant l’époque médiévale, le métier de maçon rassemblait des ouvriers, plus ou moins qualifiés et expérimentés, et des maîtres d’œuvre. Les chantiers pouvaient occuper toute une vie ; le métier se résumait à l’édification d’une cathédrale dont le maçon n’avait pas vu poser la première pierre et dont il ne verrait pas l’achèvement. Les plus anciens, les compagnons, formaient les plus jeunes, les apprentis. Ils disposaient de loges (le terme apparaît dans nos documents au XIIIe siècle), c’est-à-dire de simples bâtisses adossées à l’édifice en construction, où l’on rangeait les outils, où l’on se reposait, où l’on parlait des problèmes du chantier et des projets du lendemain. On y faisait aussi des plans, sur le sol égalisé qui servait à tracer les épures ou à fabriquer les gabarits.
Pour organiser la profession, les clercs en rédigèrent des règlements, comme pour d’autres corps de métier (charpentiers, couvreurs…). C’est à cette époque aussi que, pour donner une perspective au travail des maçons, ils en écrivirent une histoire légendaire, à partir de vieilles chroniques. On en trouve le récit dans les Old Charges (qu’on appelle aussi les « Anciens Devoirs »), dont les versions les plus anciennes que l’on connaisse remontent à la fin du XIVe siècle. Elles rapportent comment les secrets de la « géométrie » ou de la « maçonnerie », inventées dès l’origine du monde, furent sauvés du Déluge grâce à des colonnes de pierre où ils avaient été gravés par les fils de Noé. La tour de Babel puis le temple de Salomon à Jérusalem en sont les réalisations les plus illustres.
La religion était souvent mêlée aux usages et aux cérémonies en vigueur : un ouvrier reçu dans un chantier jurait de respecter Dieu, la Sainte Église, son roi et le maître du chantier ; on lui enseignait les « devoirs » et on lui présentait la Bible. Telle était son initiation. En 1472, la Compagnie des maçons de Londres (London Masons’ Company) reçoit officiellement ses armes et sa première devise : God Is Our Guide (« Dieu est notre guide »). À cette époque, la Compagnie exerce son contrôle à Londres : les apprentis lui sont présentés, et leurs noms sont portés sur ses registres. Au terme d’un apprentissage d’au moins sept ans, ils peuvent paraître devant une commission et, après avoir prêté serment de fidélité et de loyauté envers le métier, la ville et la Couronne, devenir « hommes libres du métier » (freemen of the craft).

Londres, 1717 : le véritable acte de naissance de la franc-maçonnerie

Dans le courant du XVIIe siècle, quelques gentlemen masons, férus de recherches philosophiques, sensibles à l’écho de la Renaissance néoplatonicienne, aux proclamations mystérieuses des premiers manifestes rose-croix, ou des notables érudits, parfois membres de la Royal Society, voulurent peut-être se réunir pour en faire l’objet de leurs travaux. Par souci de discrétion, par goût du mystère, par attrait pour les rites étranges et anciens, ils purent décider d’emprunter les formes symboliques et rituelles qu’ils avaient peut-être connues au contact des maçons écossais, qui, eux aussi, partageaient un secret – même si ce secret, ils le savaient bien, n’avait jamais été qu’un secret professionnel.
La théorie de la transition s’appuie aussi, parfois, sur l’hypothèse d’une filiation entre compagnonnage et franc-maçonnerie spéculative. Ce n’est pas ici le lieu d’en montrer en détail les contradictions et les invraisemblances. Il reste qu’elle repose en grande partie sur une grave mais fréquente confusion entre la maçonnerie opérative, telle qu’elle a pu exister, sous des formes très diverses du reste, dans l’Europe du Moyen Âge, en France, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, et le compagnonnage lui-même. Or, celui-ci a longtemps été presque exclusivement français. Ses origines historiques semblent attestées vers le XVe siècle, mais, hormis quelques rares documents, nous ne possédons aucun renseignement substantiel ou fiable avant le début du XIXe siècle sur ses usages !
Quelle qu’ait pu être leur origine, et quoi qu’il en soit de leurs connexions (très douteuses) avec des loges opératives, il apparaît que les premières loges spéculatives anglaises, si elles ont vraiment existé, avaient totalement disparu à la fin du XVIIe siècle. Contrairement à ce qui a été souvent écrit, on ne voit donc aucun lien entre elles et les quatre modestes loges de petits artisans et boutiquiers qui fondèrent, le 24 juin 1717, la Grande Loge de Londres. L’origine même de ces dernières est inconnue : elles sont dites, par conséquent, « de temps immémorial ».
Lorsque, par une belle fin d’après-midi de l’été 1717, le 24 juin, jour de la Saint-Jean-Baptiste, traditionnel patron des maçons, « quatre loges et quelques frères anciens » s’assemblèrent au premier étage d’une petite taverne du quartier Saint-Paul à Londres, un lieu appelé L’Oie et le Gril (Goose and Gridiron – l’établissement existait encore au début du XXe siècle), personne n’en rendit compte, l’événement passa inaperçu. Les présents eux-mêmes n’eurent apparemment pas l’idée d’en consigner le procès-verbal : tout ce que nous en savons fut rapporté vingt ans plus tard, en 1738, par le révérend James Anderson, compilateur des fameuses Constitutions de 1723, qui lui-même n’avait pas assisté à la réunion de 1717 !

Et pourtant, ce fut un événement fondateur. D’abord reçue avec méfiance, voire avec une certaine hostilité, par les « anciens » maçons, la jeune grande loge qui fut fondée ce jour-là, et dont le premier grand maître était un obscur libraire, rallia en quelques années à peu près tous les suffrages : vingt ans plus tard, elle comptait plus d’une centaine de loges. C’était aussi le début d’une aventure qui allait en quelques décennies conquérir le monde – ce dont les humbles fondateurs de 1717 se doutaient assurément fort peu.
Dès 1719, Jean-Théophile Désaguliers (1683-1744), fils d’un pasteur rochelais chassé par l’édit de Nantes, devenu physicien, ingénieur, enseignant à Oxford, ministre de l’Église d’Angleterre et plus tard chapelain du prince de Galles, conférencier scientifique de renom et principal collaborateur de Newton, devint grand maître : un autre monde s’invitait parmi les modestes artisans. En 1721, la mutation est symboliquement accomplie lorsque John, deuxième duc de Montagu (1690-1749), familier de la cour de Hanovre et l’un des hommes les plus riches du pays, devient grand maître à son tour : jusqu’à nos jours, les aristocrates, bien éloignés des tâches matérielles de leurs ancêtres prétendus, ne devaient plus lâcher les rênes du pouvoir au sein de la maçonnerie britannique.
Il n’importe : la métaphore opérative de la franc-maçonnerie demeure son ressort le plus puissant. La référence mythique – et donc toujours actuelle – à « l’édification du temple idéal » lui fournit la base de son univers symbolique et les éléments de sa méthode. Spéculatifs ou opératifs, depuis toujours les francs-maçons « glorifient le travail », quelle qu’en soit la nature…

A.S.: